Poussières : une violente satire de la Pologne et des Polonais

On savait les Polonais souvent animés, vis-à-vis de l’« Ouest », d’un complexe d’infériorité qui les conduit à adopter ou à imiter de façon plus ou moins réussie toutes les modes qui en sont originaires, des cafés Starbucks aux sushis, en passant par les gadgets marqués d’une pomme ou encore certaines séries télévisées de style fantasy. En face, un groupe que l’on pourrait qualifier de « conservateur », plus réduit mais pas moins caricatural, dénonce ces influences étrangères au nom de la défense du « Polak-katolik » qu’il conviendrait de protéger notamment de l’athéisme, du cosmopolitisme et d’autres moeurs décadentes en provenance de ce même « Ouest ».

Piotr Augustyn, le narrateur du dernier livre de Krzysztof Varga Trociny (littéralement « sciures », Varsovie, Czarne, 2012, non traduit en français), prend un tout autre point de départ pour démolir la Pologne contemporaire et ses habitants. Médiocre représentant de commerce varsovien, il ne connaît pas l’étranger et ne s’appuie donc pas sur une vision idéalisée des riches pays « occidentaux » pour critiquer les insuffisances de son propre pays. Dans le même temps, il ne se considère pas comme catholique et tourne en ridicule le goût de ses compatriotes pour un macabre héroïsme de pacotille qui se manifeste notamment lors des catatrophes routières ou aériennes. Les questions politiques sont d’ailleurs totalement absentes de la réflexion de Piotr Augustyn, preuve de sa non-appartenance au camp « conservateur ».

En un sens, le narrateur incarne le Polonais moyen qu’il méprise tant : cinquantenaire divorcé, sans enfant, il passe ses journées en déplacements à travers le pays pour le compte de son employeur. Relativement à l’aise sur le plan matériel, il doit sa situation, comme beaucoup de personnes de sa génération, à la renaissance du capitalisme au début des années 1990 qui s’est accompagnée de l’essor rapide de secteurs jusqu’alors peu développés comme le commerce, le marketing ou encore la publicité. Entre deux voyages, Piotr Augustyn ne fait pour ainsi dire rien, si ce n’est écouter en solitaire de la musique baroque. Ses seuls proches sont ses parents à qui il continue de rendre visite malgré leurs incessants reproches sur sa vie ratée.

Ce n’est toutefois pas l’histoire des échecs de cet anti-héros qui fait le sel de « Poussières » mais son regard acerbe sur la société polonaise. Les trains constamment en retard, les paysages désespérément plats, la tendance des Polonais à la martyrologie, leur soif de signes extérieurs de richesse – de la grosse berline allemande au gobelet en carton des chaînes de café « branchées » –, leur passion pour les działki – ces petits jardins à la campagne que le régime communiste avait généreusement distribué –, leur carriérisme aussi, autant de traits qu’il est difficile de ne pas retrouver dans la réalité de la Pologne d’aujourd’hui.

Il n’est pas certain que l’ouvrage, rédigé sous la forme d’un monologue de plus de 300 pages sans subdivision – une forme de « conversation » peu ordonnée assez typique de la littérature polonaise –, puisse trouver son public en dehors des frontières nationales tant il prend racine dans la vie quotidienne en Pologne et plus encore dans celle de Varsovie. En revanche, il amusera certainement beaucoup les Polonais et les étrangers qui les côtoient, voire les dérangera un peu car tout comme l’homme moyen d’Adolphe Quetelet, on ne l’a jamais rencontré mais il nous est aussi familier que notre propre miroir.

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