Vu de Pologne. Accord américano-russe sur la Syrie : Obama est-il perdant ?

Revue de la presse polonaise du 14 au 20 septembre 2013

Trois jours. Après plusieurs semaines d’atermoiement, c’est le temps qu’il aura en définitive fallu aux équipes dirigées par les ministres des Affaires étrangères américain et russe pour négocier à Genève un accord sur le dossier syrien. Le régime de Bachar Al-Assad disposera d’une semaine pour lever le voile sur l’ensemble de ses points de stockage d’armes chimiques, après quoi des inspecteurs internationaux se rendront dans le pays et auront carte blanche pour les vérifier et dans un premier temps détruire les équipements de fabrication des gaz de combat. Compte tenu des importantes réserves de ces gaz – les estimations atteignent jusqu’à 1 400 tonnes –, leur neutralisation est prévue pour s’étaler jusqu’à la mi-2014.

La presse polonaise est ébahie par l’entente Kerry-Lavrov qui intervient alors que les relations américano-russes n’ont jamais été aussi exécrables depuis la guerre froide. Affaire Magnitski, interdiction pour les ressortissants américains d’adopter des enfants russes, loi d’interdiction de « promotion » de l’homosexualité, visa temporaire accordé à l’« espion » Edward Snowden : les contentieux entre Moscou et Washington s’étaient à ce point multipliés que le président américain Barack Obama avait décidé d’annuler l’entretien bilatéral programmé avec son homologue Vladimir Poutine en amont de la réunion du G20 à Saint-Pétersbourg, estimant que leurs divergences étaient trop profondes.

Le coup de théâtre que constitue l’accord du 14 septembre a donc fait l’objet d’interprétations très variées de la part des observateurs politiques polonais. À droite, Rzeczpospolita n’hésite pas à parler de la « catastrophe d’Obama » et à qualifier le président américain de « superandouille ». Pris au piège de ses propres déclarations sur la ligne rouge, il se retrouve au niveau de la Corée du nord et de l’Iran à formuler des menaces dépourvues de tout effet utile. Le chroniqueur Marek Magierowski pointe tout particulièrement du doigt la perte de crédibilité des États-Unis aux yeux de la Chine dont les intentions à l’égard de pays voisins comme le Japon et Taïwan sont troubles. Vladimir Poutine sort en revanche grand vainqueur de son duel avec Barack Obama puisqu’il a réussi à la fois à éloigner pour un temps le risque de frappes contre son allié syrien et à positionner la Russie comme une puissance responsable qui agit en faveur de la paix.

Une entente somme toute mutuellement profitable

Mariusz Zawadzki de Gazeta Wyborcza défend pour sa part une lecture plus équilibrée de l’accord Kerry-Lavrov qui serait en réalité aussi profitable aux États-Unis. De fait, comme il a déjà été dit dans ces colonnes, la proposition de placer le stock d’armes chimiques de la Syrie sous contrôle international permet à Barack Obama de ne pas déclencher une attaque à contre-cœur tout en ne laissant pas une impression d’impunité aux pays qui envisagent de se servir d’armes chimiques. Le seul perdant de l’affaire serait au final le peuple syrien puisque l’accord n’apporte aucune solution à la guerre civile qui ravage le pays depuis maintenant deux ans et demi.

Pourtant, la question même de l’effectivité du plan Kerry-Lavrov est sujette à caution. Bien que Barack Obama garde la porte ouverte à d’autres actions en cas de non respect de ses obligations par le régime de Bachar Al-Assad, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov s’obstine à refuser toute référence au chapitre VII de la Charte des Nations Unies dans la résolution du Conseil de sécurité qui appuiera l’accord Kerry-Lavrov. En d’autres termes, même en cas de violation du texte par Damas, le recours à la force restera illégal au regard du droit international. Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius aura pourtant de nouveau essayé de convaincre son homologue lors d’une visite à Moscou mardi, en vain.

La Pologne, de son côté, a annoncé le même jour être prête à dépêcher des experts « en soutien à la vérification et à la destruction de l’arsenal chimique de la Syrie ». Ce geste de bonne volonté n’aura cependant pas les conséquences escomptées par Andrzej Talaga (Rzeczpospolita), qui misait sur la dégradation des relations entre Moscou et Washington pour refaire de la Pologne une « tête de pont américaine » en Europe alors que l’Union européenne et l’OTAN sont de plus en plus faibles militairement. C’était oublier un peu vite que même la guerre froide n’a pas empêché les deux ex-superpuissances de s’entendre lorsqu’elles y trouvaient chacune leur intérêt.

Articles phares :
- Andrzej Talaga, « Syryjska lekcja dla Polski », Rzeczpospolita, 14 septembre 2013 ;
- Mariusz Zawadzki, « Szok w Genewie. Rosja i USA dogadały się w sprawie Syrii », Gazeta Wyborcza, 15 septembre 2013 ;
- Agata Kaźmierska, « Chemicznie zgodni », Rzeczpospolita, 16 septembre 2013 ;
- Marek Magierowski, « Katastrofa Obamy », Rzeczpospolita, 16 septembre 2013 ;
- Mariusz Zawadzki, « Przegrani są tylko Syryjczycy », Gazeta Wyborcza, 16 septembre 2013 ;
- Agata Kaźmierska, « Raport ONZ: w Syrii użyto sarinu », Rzeczpospolita, 17 septembre 2013 ;
- Tomasz Bielecki, « Asad użył broni chemicznej? Moskwa: To mogła być prowokacja », Gazeta Wyborcza, 18 septembre 2013.