Vu de Pologne. Dossier syrien : la Russie sort du bois

Revue de la presse polonaise du 7 au 13 septembre 2013

La réaction inattendue de la Russie à l’ouverture créée par le secrétaire d’État américain John Kerry lors d’une conférence de presse lundi à Londres a de nouveau rebattu les cartes du jeu syrien. Alors que les États-Unis, pourtant réticents à s’engager militairement contre Damas, s’y sentaient de plus en plus contraints pour ne pas perdre leur crédibilité sur la scène internationale, la déclaration de John Kerry selon laquelle l’intervention pourrait ne pas avoir lieu à condition que le stock d’armes chimiques du régime de Bachar Al-Assad passe sous contrôle international a connu un écho retentissant.

Moscou a immédiatement saisi la balle au bond et par la voix de son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a été annoncée la préparation d’un plan « efficace, précis et rapide à mettre en œuvre ». Il a rencontré dans le même temps son homologue syrien et l’a exhorté « à accepter non seulement le déploiement d’observateurs internationaux sur les lieux de stockage des armes chimiques en vue de leur destruction future, mais aussi l’adhésion pleine et entière à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques ». La réponse de Damas n’a pas tardé puisque le régime a donné son accord dès le lendemain.

La proposition de John Kerry est tombée à point nommé pour le président américain Barack Obama, tiraillé entre la crainte de laisser une impression d’impunité aux éventuels pays utilisateurs d’armes chimiques – en particulier l’Iran – et une forte hostilité de l’état-major, du Congrès et de l’opinion publique à une intervention militaire des États-Unis contre la Syrie. Bien que le porte-parole du Département d’État Jennifer Psaki ait déclaré que ses propos de son ministre étaient à interpréter comme une « remarque purement rhétorique », ils fournissent à Washington une échappée honorable, même si c’est au prix d’une perte apparente d’initiative au profit de la Russie.

Un plan qui arrange autant les États-Unis que la Russie ?

La presse polonaise s’est intéressée de près à la généalogie du projet de faire passer l’arsenal chimique syrien sous contrôle international car le ministre polonais des Affaires étrangères Radosław Sikorski en aurait été l’un des inspirateurs. Ce rôle est du reste reconnu par de grands journaux internationaux comme Die Welt ou le New York Times. Le principal intéressé a de son côté admis dans un entretien pour Rzeczpospolita qu’il avait évoqué un tel scenario avec le secrétaire d’État puis avec le vice-président américain et que les ministres des Affaires étrangères membres du Parti populaire européen avaient remis une lettre en ce sens à John Kerry. Toutefois, le véritable père de la proposition serait l’ancien sénateur américain Richard Lugar, co-auteur du plan Nunn–Lugar de démantèlement des armes de destruction massive sur le territoire de l’ex-Union soviétique. Radosław Sikorski estime néanmoins que « dans le dossier syrien, la Pologne a été et demeure utile ».

La question se pose désormais de savoir si le régime syrien et son allié russe sont sincères ou s’il ne s’agit que d’un moyen de gagner du temps. De fait, certains commentateurs doutent de la possibilité pour les inspecteurs internationaux d’accomplir leur mission de surveillance et de démantèlement dans un pays déchiré par une guerre civile. Moscou a également rejeté un projet français de résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui aurait permis, en cas de non respect de ses engagements par le gouvernement de Bachar Al-Assad, de recourir à la force. Le texte avait pourtant reçu le soutien des États-Unis et du Royaume-Uni et de façon verbale de la Pologne – elle ne siège pas au Conseil de sécurité. Seule avancée : l’ONU a confirmé jeudi avoir reçu de Damas une demande d’adhésion à la Convention sur l’interdiction des armes chimiques.

Articles phares :
- Wacław Radziwinowicz, Mariusz Zawadzki, « Obama ma zgryz: Jak przekonać kongresmenów do ataku na Syrię? », Gazeta Wyborcza, 7 septembre 2013 ;
- Jędrzej Bielecki, « Niechciana wojna Ameryki », Rzeczpospolita, 10 septembre 2013 ;
- Agata Kaźmierska, « Dyplomatyczna gra o Syrię », Rzeczpospolita, 11 septembre 2013 ;
- Jędrzej Bielecki, « Obama daje się ogrywać », Rzeczpospolita, 12 septembre 2013 ;
- Jerzy Haszczyński, Bartosz Węglarczyk, « Rosja miała rację » (entretien avec le ministre polonais des Affaires étrangères Radosław Sikorski), Rzeczpospolita, 12 septembre 2013 ;
- Jędrzej Bielecki, « Putin zajął miejsce Obamy », Rzeczpospolita, 13 septembre 2013 ;
- Tomasz Bielecki, « Sikorski: To nie ja wymyśliłem plan dla Syrii », Gazeta Wyborcza, 13 septembre 2013 ;
- Mariusz Zawadzki, « Kerry i Ławrow zaczęli dyplomatyczne rozgrywki wokół Syrii », Gazeta Wyborcza, 13 septembre 2013.