Vu de Pologne. L’Ukraine reporte la signature d’un accord d’association avec l’Union européenne

Revue de la presse polonaise du 16 au 22 novembre 2013

Dans une actualité de la semaine pourtant riche en événements (conférence climatique COP 19, remaniement ministériel), c’est la décision surprise du gouvernement ukrainien de suspendre la signature d’un important accord d’association avec l’Union européenne qui a le plus retenu l’attention des media polonais. Il est vrai que l’Ukraine fait généralement l’objet d’une attention soutenue en Pologne, qui y voit non seulement un voisin immédiat lié à elle par l’histoire et la culture, mais aussi un terrain de lutte d’influence avec la Russie.

C’est pourquoi, depuis son entrée dans l’Union européenne (UE) en 2004, la Pologne cherche à promouvoir dans les enceintes communautaires une politique d’engagement à l’égard de Kiev qui s’est traduite en 2009 par le lancement du Partenariat oriental. Cette initiative conjointe des diplomaties polonaise et suédoise a créé un nouveau cadre de dialogue et de coopération avec six États post-soviétiques (Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie, Ukraine) avec l’objectif de favoriser leur intégration avec l’UE, sans toutefois préjuger d’une éventuelle adhésion.

L’Ukraine, qui possède de loin le poids stratégique le plus important dans la région, aurait dû signer lors du sommet de Vilnius des 28 et 29 novembre 2013 un accord d’association particulièrement ambitieux qui aurait permis non seulement de libéraliser davantage les échanges commerciaux entre l’UE et l’Ukraine, mais aussi d’exporter les normes européennes en Ukraine et, à terme, de lever l’obligation de visa pour les ressortissants ukrainiens désireux d’entrer sur le territoire de l’UE.

Un accord conditionné côté UE à la libération de Ioulia Tymochenko

Depuis plusieurs semaines, une lourde incertitude pesait cependant sur la signature de l’accord car le pouvoir ukrainien, avec à sa tête le président Viktor Ianoukovytch, se refusait à satisfaire l’une des conditions essentielles posées par l’UE : la libération de l’opposante Ioulia Tymochenko, emprisonnée depuis près de deux ans et en mauvais état de santé. La presse faisait aussi état de pressions de la part du Kremlin, qui tiendrait beaucoup à ce que l’Ukraine rejoigne son propre projet d’Union eurasiatique. Or, l’association avec l’UE n’est pas compatible sur le plan juridique avec une adhésion à l’Union douanière actuellement formée par la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan.

Ces pressions seraient à la fois de nature politique et économique, avec des menaces de hausse du prix des livraisons de gaz naturel – un facteur de compétitivité important pour l’industrie ukrainienne – et des blocages des exportations quand l’Ukraine réalise près de 40% de son commerce extérieur avec les pays de l’Union douanière. En conséquence, le gouvernement ukrainien a annoncé jeudi sa volonté de suspendre le processus de signature de l’accord d’association avec l’UE, le temps de redresser son économie frappée de récession et d’une crise des finances publiques.

Paweł Zalewski, député polonais au Parlement européen et co-président du Forum polono-ukrainien de partenariat, avait mis en garde quelques jours plus tôt via une tribune publiée dans les colonnes de Rzeczpospolita contre « l’impasse » dans laquelle se trouvaient les négociations. Les dirigeants européens, affirmait-il, se leurraient en pensant que le principal obstacle à la signature était à rechercher dans l’hostilité du président Ianoukovytch envers sa rivale Ioulia Tymochenko. Les difficultés économiques qui accablent l’Ukraine sont autrement plus importantes et c’est pourquoi le député estime que l’UE devrait proposer à Kiev une aide financière immédiate, à hauteur de 12-15 milliards de dollars, afin de sauver le pays de la faillite.

De fortes pressions économiques

Plus critique envers le gouvernement ukrainien, l’éditorialiste Jędrzej Bielecki du même Rzeczpospolita reproche aux Ukrainiens de s’être eux-mêmes placés en situation de dépendance vis-à-vis de la Russie en repoussant sans cesse la libéralisation de leur économie. Il en tire la conclusion que « l’Ukraine a raté son examen d’indépendance » et qu’après les refus de rejoindre l’OTAN et de signer l’accord d’association avec l’UE, « l’Occident ne donnera pas une troisième chance à l’Ukraine avant longtemps, si tant est qu’il le fasse un jour. »

De fait, la chancelière allemande Angela Merkel avait annoncé lundi devant le Bundestag que son pays, comme le reste de l’UE, seraient prêts au besoin à soutenir l’Ukraine dans l’hypothèse où elle subirait des pertes économiques résultant de mesures de rétorsion russes. L’argument économique ne serait donc pas le seul à être entré en ligne de compte, et on soupçonne Viktor Ianoukovytch soit de maximiser son avantage en jouant de la « concurrence » entre l’UE et la Russie, soit plus prosaïquement de reporter la signature à 2015 pour en profiter dans le cadre de sa prochaine campagne électorale. Malgré ce retournement de dernière minute, il a en effet confirmé que « l’Ukraine continuerait d’avancer sur la route de l’intégration européenne ». Si les Vingt-Huit voudront bien la lui laisser ouverte.

Articles phares :
- Paweł Zalewski, « Pomoc finansowa, a nie krew i łzy », Rzeczpospolita, 18 novembre 2013 ;
- Tomasz Bielecki, « Unia do ostatniej chwili nie chce zamykać drzwi Ukrainie », Gazeta Wyborcza, 19 novembre 2013 ;
- Piotr Jendroszczyk, « Ukraina oddala Berlin od Moskwy », Rzeczpospolita, 20 novembre 2013 ;
- Mirosław Czech, « Kres zbliżenia Ukrainy z Europą: Janukowycz wywrócił stolik », Gazeta Wyborcza, 22 novembre 2013 ;
- Tomasz Bielecki, « Krach umowy Unia Europejska - Ukraina. Kto zawinił? », Gazeta Wyborcza, 22 novembre 2013 ;
- Tomasz Bielecki, Renata Grochal, « Ukraina ucieka Europie », Gazeta Wyborcza, 22 novembre 2013 ;
- Jędrzej Bielecki, « Ukraina nie zdała egzaminu z niepodległości », Rzeczpospolita, 22 novembre 2013 ;
- Piotr Jendroszczyk, Anna Słojewska, « Ukraina w uścisku Rosji », Rzeczpospolita, 22 novembre 2013.