Surenchères électoralistes autour du « made in France »
Revue de la presse française du 10 au 16 décembre 2011
Après le sommet européen des 8 et 9 décembre, la monnaie unique a enregistré un répit au moins sur le plan médiatique et a laissé du champ à d’autres thèmes de discussion, tandis que le voisinage des fêtes de fin d’année et des traditionnelles courses de Noël a fourni l’occasion aux candidats à l’élection présidentielle de 2012 d’exposer leurs vues sur l’avenir de l’industrie française. Il aura donc été difficile cette semaine de manquer le retour sur le devant de la scène du slogan « made in France », longtemps écarté au nom de la condamnation du protectionnisme.
Selon le Parisien, c’est François Bayrou qui aurait apporté l’étincelle au cours de sa déclaration de candidature mercredi 7 décembre. Il a en effet appelé les citoyens à soutenir activement le « produit en France », dans la lignée du mot d’ordre du Mouvement démocrate « produire, instruire, construire ». Jean-Louis Borloo, président du Parti radical valoisien (centre droit), mentionne également la production en France parmi ses « six règles d’or » bien qu’il ait abandonné l’idée de participer à l’élection de l’année prochaine.
Le chef de l’État Nicolas Sarkozy, en déplacement mardi 13 décembre à l’usine de skis Rossignol de Sallanches (Haute-Savoie), n’a pas en substance dit autre chose en défendant la réindustrialisation du pays. Dans le même temps, il a rappelé certaines mesures adoptées lors de son mandat, comme le crédit impôt-recherche, qui auraient incité des entreprises à maintenir leur appareil productif en France ou à le développer. Il a cependant ajouté à l’intention de Marine Le Pen et des électeurs du Front national qu’il ne suffisait pas d’acheter français car des produits de marque française pouvaient très bien être fabriqués à l’étranger et inversement.
Un label pour les produits fabriqués en France
C’est pourquoi le label « Origine France garantie », lancé il y a six mois, requiert pour pouvoir être utilisé que la marchandise comporte au moins 50% de valeur ajoutée localisée sur le territoire français. La voiture Toyota Yaris, de marque japonaise mais assemblée à Valenciennes, est par exemple éligible quand des véhicules de marque française mais essentiellement fabriquées en Europe centrale ou en Turquie ne peuvent s’en prévaloir. La presse a dans le même temps jeté la lumière sur quelques success stories comme celle de Meccano, un fabricant de jouets français qui a décidé de relocaliser sa production sur le territoire national il y a deux ans parce que ses usines asiatiques ne lui permettaient pas de répondre à la demande en temps et en heure.
Néanmoins, les « réussites » de Meccano et de Rossignol ne sauraient dissimuler l’ampleur de la désindustrialisation de l’économie française, qui se serait traduite par un recul rapide du poids du secteur secondaire dans le PIB (de 18% au début des années 2000 à 13% aujourd’hui) et par une baisse massive du nombre d’emplois industriels (5,3 millions en 1980 contre 3,4 millions en 2007). Même si ces chiffres ne tiennent pas compte des phénomènes d’externalisation, qui requalifient des emplois autrefois considérés comme industriels en emplois du secteur tertiaire, la diminution de la production en volume de certaines branches d’activité comme l’automobile ne laisse pas planer de doute sur la réalité de la désindustrialisation.
D’autre part, le développement des services n’a pas complètement rempli le vide créé par la disparition de l’industrie. Les emplois du secteur tertiaire tendent en effet à polariser davantage l’échelle des compétences et des revenus entre des salariés très qualifiés et bien rémunérés d’un côté et des travailleurs précaires, peu qualifiés et faiblement rémunérés de l’autre. Les services n’apportent pas non plus en France la même contribution au commerce extérieur, dont les déficits ne cessent de se creuser depuis une dizaine d’années quand l’Allemagne, pourtant aussi « handicapée » par un euro fort et un coût du travail relativement élevé, connaît des excédents records.
Diminuer le coût du travail ou aider davantage les PME ?
Un large spectre de responsables politiques français semble donc abandonner l’idée d’une économie entièrement basée sur les services, comme pouvaient encore le concevoir dix ans auparavant certains spécialistes qui imaginaient une division internationale du travail entre tâches intellectuelles au Nord et manufacture au Sud. L’importance de l’industrie allemande et le rattrapage en accéléré de la Chine ou l’Inde en matière de recherche et de développement ont infirmé ces pronostics et montrent à quel point l’État peut avoir un rôle déterminant dans le façonnement des conditions propices à la prospérité industrielle.
Michel Destot, maire socialiste de la ville de Grenoble et député de l’Isère, propose par exemple d’aider davantage les entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui font le succès de l’économie allemande grâce à la combinaison d’une masse critique suffisante pour se lancer à la conquête des marchés mondiaux et d’une agilité plus grande que celle de grands groupes. Il souhaite également que la France se dote d’un ministère transversal capable de soutenir l’innovation, comme le Miti japonais. L’idée, déjà soumise par Claude Allègre à la fin des années 1990, n’a jusqu’ici jamais été mise en œuvre.
L’éditorialiste du Figaro Gaëtan de Capèle préfère quant à lui incriminer les « politiques », tenus responsables du « poids excessif des charges sociales », de la « rigidité dissuasive de la législation du travail » et d’une « instabilité fiscale chronique ». Deux jours plus tôt, le même quotidien mettait en avant les « écarts gigantesques, pour ne pas dire effrayants », des « coûts unitaires de main-d’œuvre » entre l’Allemagne et la France. Selon Jean-Pierre Robin, auteur de ce constat, « la seule planche de salut passe[rait] par ce qu’on appelle une “dévaluation interne”, autrement dit une “dévaluation fiscale” ». Elle se matérialiserait par une augmentation du taux de TVA et d’une diminution simultanée des charges sociales reposant sur le travail, avec pour effets de faire basculer une partie du financement de la protection sociale sur la consommation et de diminuer le coût du travail.
Au Monde, on estime que le « manque de compétitivité des travailleurs » est un « faux débat », comparaison des coûts horaires à l’appui. Le problème viendrait plutôt d’une « erreur de stratégie » des entreprises françaises, qui ont préféré maintenir leur positionnement de moyen de gamme et se sont par là même heurtées à la concurrence des pays émergents quand les voisins allemands misaient sur des niches où la qualité prime sur le prix.
Demeurent enfin les consommateurs, dont l’attitude n’est pas innocente dans le maintien ou non de sites de fabrication sur le territoire national. Selon un sondage IFOP du mois dernier, deux tiers des Français seraient prêts à payer leurs achats jusqu’à 10% de plus pour consommer français. Le Monde a cherché à vérifier si ces déclarations dépassaient le stade des bonnes intentions et cite une série de sites Internet dont l’activité consiste à répertorier les entreprises fabriquant leurs produits sur le territoire français. Ces portails offrent de la visibilité notamment aux PME, pour qui le coût de la labellisation « Origine France garantie » est trop élevé. Marchera-t-elle sur les traces du bio ?
Articles phares :
- Le Figaro, L’euro français est surévalué de 12% par rapport à l’euro allemand, Jean-Pierre Robin, 12 décembre 2011 ;
- Le Figaro, Le chantier du « made in France », Gaëtan de Capèle, 14 décembre 2011 ;
- Le Figaro, Nicolas Sarkozy défend la production « made in France », Charles Jaigu et Jacques-Olivier Martin, 14 décembre 2011 ;
- Le Monde, « Acheter français est devenu un geste citoyen », Laure Belot, 10 décembre 2011 ;
- Le Monde, Les candidats se disputent le « made in France », Pierre Jaxel-Truer et Sylvia Zappi, 14 décembre 2011 ;
- Le Monde, Vouloir « produire en France » ne règlera pas les défauts du modèle industriel, Alain Faujas et Claire Gatinois, 14 décembre 2011 ;
- Le Parisien-Aujourd’hui en France, Nicolas Sarkozy vante lui aussi le made in France, Olivier Beaumont et Nathalie Schuck, 14 décembre 2011 ;
- Libération, « Il faut réorienter en faveur des PME les aides et la fiscalité », Catherine Coroller (entretien avec Michel Destot), 14 décembre 2011.