Vu de Pologne. La Russie sauve l’Ukraine de la faillite

Revue de la presse polonaise du 14 au 20 décembre 2013

Malgré la tenacité des occupants de Maidan, l’attention portée à l’Ukraine dans les media polonais connaît cette semaine un certain reflux en raison de la concurrence d’autres événements et des faibles progrès de la situation sur place. Certes, une table ronde a bel et bien été organisée vendredi 13 décembre entre le président Viktor Ianoukovytch et les principales figures de l’opposition, en présence également de représentants d’organisations religieuses, scientifiques et associatives. Toutefois, elle n’a débouché sur aucun accord global. Parmi les revendications des manifestants, seule la libération des « prisonniers politiques » a été acceptée par le chef de l’État qui a promis une amnistie.

L’Union européenne, que les opposants avait invitée pour faire office de médiateur avec le pouvoir, n’a finalement pas participé à la table ronde et ne prévoit pas pour le moment de mission de ce type. La haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, semblerait en effet privilégier une présence tournante et moins formelle sous la forme de visites régulières de ministres des Vingt-Huit comme l’a récemment fait le chef de la diplomatie lituanienne Linas Linkevičius. De la sorte, l’UE limiterait son exposition aux accusations d’« ingérence » dans les affaires intérieures ukrainiennes tout en rappelant au gouvernement de Kiev qu’il est sous le regard de la communauté internationale.

La Russie de son côté n’a pas les mêmes réserves : lors d’une rencontre à Moscou mardi 17 décembre, le président Vladimir Poutine a promis à son homologue ukrainien un « soutien sans condition » sous la forme d’une baisse drastique du prix du gaz, de l’achat de bons du Trésor pour 15 milliards de dollars, de la reprise des échanges commerciaux entre les deux pays et des livraisons de pétrole brut vers la raffinerie d’Odessa. Cette aide devrait permettre à l’Ukraine de faire face à ses obligations financières les plus pressantes et d’éviter, au moins à court terme, la faillite.

Quelles contreparties pour la Russie ?

Les détails de l’accord ne sont cependant pas connus. Bien que Vladimir Poutine ait démenti tout lien avec son projet d’union douanière afin de ne pas attiser la colère de l’Euromaidan, les observateurs sont sceptiques sur la « vertu chrétienne » de l’aide inconditionnelle au prochain dont s’est vanté le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors d’une visite à Varsovie jeudi 19 décembre. Les opposants exigent également la divulgation du contenu de l’accord afin d’en connaître les contreparties.

Si le geste de Moscou peut être interprété au premier abord comme une victoire dans le jeu géopolitique qui l’oppose à l’UE, le rédacteur du quotidien Rzeczpospolita Andrzej Talaga en fait une lecture plus nuancée en intégrant dans son analyse un autre groupe d’acteurs : les oligarques. Selon le journaliste, leur rôle est ambigu car si nombre d’entre eux tirent leur fortune d’échanges commerciaux avec la Russie, c’est en Occident qu’ils voyagent, mettent à l’abri leurs actifs financiers et cherchent la reconnaissance de leurs pairs. Ils n’ont donc pas intérêt à voir l’Ukraine se rapprocher davantage de Moscou, au risque de finir sous la botte du gouvernement ou, comme Mikhaïl Khodorkovski jusqu’à cette semaine, derrière les barreaux.

Des oligarques avant tout « pragmatiques »

Pour Andrzej Talaga, les oligarques ne seraient « ni pro-russes, ni pro-occidentaux, ce sont des pragmatiques, qui parient sur les options qui leur apportent le plus d’avantages ». Ils observeraient notamment avec inquiétude l’ascension de la « famille » autour du fils du président, Oleksandr Ianoukovytch, qui se sert des structures de l’État pour faire concurrence aux oligarques « historiques ». Andrzej Talaga note que ce phénomène de soumission des grandes fortunes au pouvoir politique s’est produit dans la quasi totalité des républiques post-soviétiques et que si l’Ukraine fait jusqu’à maintenant figure d’exception, c’est en raison de la faiblesse de son gouvernement.

En conséquence, les oligarques font obstacle aux réformes réclamées par l’Occident en ce qu’elles heurteraient leurs intérêts financiers mais bloquent dans le même temps les tentatives de « poutinisation » du régime ukrainien et de rapprochement trop poussé avec la Russie car ils pourraient alors perdre leur tête. Un tel statu quo, sans doute peu satisfaisant pour les autres parties prenantes, constitue néanmoins selon Andrzej Talaga le meilleur frein aux éventuelles vélleités de Viktor Ianoukovytch de recourir à la force contre l’Euromaidan.

Articles phares :
- Tomasz Bielecki, « Głównym osiągnięciem ukraińskiego okrągłego stołu jest to, że w ogóle się odbył », Gazeta Wyborcza, 14 décembre 2013 ;
- Jędrzej Bielecki, « Dobre serce Putina », Rzeczpospolita, 18 décembre 2013 ;
- Andrzej Talaga, « Oligarchowie mitygują przemoc », Rzeczpospolita, 18 décembre 2013 ;
- Paweł Wroński, « Miłosierdzie Rosji, czyli starcie Sikorski - Ławrow przed dziennikarzami », Gazeta Wyborcza, 20 décembre 2013.