Oussama Ben Laden est mort
Revue de la presse française du 30 avril au 6 mai 2011
Sauf à avoir passé la semaine écoulée sur une île déserte ou dans une grotte éloignée de la civilisation, il aura été difficile d'ignorer l'événement de la semaine, repris en chœur dans la plupart des pays du monde : la mort de la charismatique icône d'Al-Qaida Oussama Ben Laden. L'écho rencontré par cette information ne peut qu'amener à dresser un parallèle avec l'exceptionnelle couverture médiatique de l'attentat commis il y a dix ans par cette même organisation terroriste contre les tours jumelles du World Trade Center à New York.
Dimanche 1er mai, alors qu'il est presque minuit, le président des États-Unis Barack Obama annonce à ses concitoyens ainsi qu'au reste de la planète que l'« ennemi no1 » des Américains a été éliminé au cours d'une opération commando au Pakistan. Tout en déclarant que « justice a été rendue », il appelle les Américains à « rester vigilants » et, peut-être par anticipation de réactions hostiles, souligne une nouvelle fois que « les États-Unis ne sont pas — et ne seront jamais — en guerre contre l'islam ».
Le décalage horaire prend de court la presse française qui ne diffusera la nouvelle que le lendemain, à l'exception du Monde qui paraît en région parisienne l'après-midi. Les quotidiens sont unanimes pour saluer ce qui est perçu comme une victoire américaine, en dépit de la portée essentiellement symbolique de la mort du personnage. Les communiqués officiels accueillent en des termes voisins l'information même si la présidence de la République tempère son propos et rappelle que « ce n'est pas la fin d'Al-Qaida ». Cette ligne a été partagée par la plupart des dirigeants et des media internationaux, y compris dans les pays à majorité musulmane où l'on a tenu à se désolidariser des actions terroristes.
Très vite cependant, l'enthousiasme a laissé la place à des interrogations sur les circonstances de l'opération Geronimo. Comment les Pakistanais pouvaient ignorer la présence de l'homme le plus recherché du monde sur son sol alors qu'il vivait à moins de cinquante kilomètresde la capitale Islamabad, dans une imposante villa bâtie dans la ville même où se trouve l'académie militaire d'Abbottabad ? Les forces spéciales américaines avaient-elles pour mission d'assassiner Oussama Ben Laden ou sa mort était-elle inévitable dans le feu de l'action ?
Certaines préoccupations étaient plus triviales, par exemple au sujet de la conformité du traitement de la dépouille aux règles coraniques — elle a été jetée en mer pour ne pas laisser s'établir de lieu de pèlerinage — ou bien de la diffusion des photos du corps. En effet, contrairement aux attaques du 11 septembre 2001 qui avaient circulé en boucle sur les chaînes de télévision du monde entier, la mort d'Oussama Ben Laden n'a pas donné lieu à des images susceptibles de satisfaire un appétit parfois malsain pour les clichés choc. Bien que des photos ont été prises, la décision de Barack Obama de les tenir secrètes a apporté du grain à moudre aux théoriciens du complot et aux plus fervents partisans du héros d'Al-Qaida qui refusent de croire en sa disparition.
Le Pakistan soupçonné de double jeu
En France, les soupçons de double jeu de la part du Pakistan, dépendant des milliards de dollars d'aide américaine pour sa stabilité économique mais dans le même temps satisfait de disposer d'un moyen de bloquer l'influence de son grand rival indien en Afghanistan, ont pris une résonance particulière puisque son Premier ministre devait justement se rendre à Paris. La visite de trois jours de Youssouf Raza Gilani avait pour objectifs d'accroître les relations commerciales entre les deux États et de trouver un soutien politique alors que les puissances occidentales semblent visiblement préférer coopérer avec l'Inde dans la région.
Dans un entretien au Figaro daté du 6 avril, le chef du gouvernement pakistais a tenté de convaincre ses lecteurs que les services secrets de l'ISI (Inter-Services Intelligence), principale cible des critiques pour son appui présumé aux talibans et à Al-Qaida, formaient un « corps militaire […] intègre et intacte » et qu'elle était bien « sous le contrôle du gouvernement civil ». Le Premier ministre français François Fillon et le chef de la diplomatie Alain Juppé ont toutefois exigé plus de « clarté » sur ce point.
Un autre élément en lien avec la mort d'Oussama Ben Laden qui est source d'inquiétude pour les Français est le risque de représailles, soit directement sur le territoire au travers d'attentats, soit à l'encontre des otages détenus au Sahel et en Afghanistan. Le niveau d'alerte du plan Vigipirate reste donc en « rouge renforcé » et des mesures complémentaires pourraient être adoptées dans les semaines à venir.
À propos de l'engagement français en Afghanistan, autour duquel le consensus s'effrite progressivement au Parlement, la décapitation d'Al-Qaida ne devrait pas modifier le calendrier de retrait fixé par l'OTAN. Cependant, le Quai d'Orsay a laissé entendre que même si la présence de soldats français sur le sol afghan ne trouvait pas sa raison d'être dans la poursuite d'Oussama Ben Laden, une « réflexion » serait entamée sur l'échéance de la fin de la mission, actuellement prévue pour 2014. Cette hésitation est peu évidente à comprendre dans la mesure où les liens entre Al-Qaida et les talibans, qui sont les véritables adversaires de la coalition en Afghanistan, sont assez minces mais il est possible de l'interpréter comme la saisie d'un prétexte utile pour s'extraire d'un bourbier de plus en plus décrié dans l'opinion.
Al-Qaida peut-elle survivre à la mort de son fondateur ?
Enfin, les journaux hexagonaux ont ouvert leurs colonnes à des analyses plus générales sur le futur d'Al-Qaida et de son projet politique. À ce sujet, le professeur Jean-Pierre Filiu a été particulièrement sollicité pour exprimer son point de vue en tant que spécialiste du djihadisme. Deux points sont mentionnés à l'appui du déclin programmé de l'organisation terroriste. Le premier est qu'Al-Qaida, déjà très décentralisée, pourrait se rompre complètement en l'absence de successeur aussi respecté qu'Oussama Ben Laden. Son bras droit Ayman Al-Zawahiri ne jouirait pas en effet de la même légitimité à cause de son profil plus doctrinaire et de sa nationalité égyptienne, qui répulse certaines branches du mouvement. Il est donc probable que les différentes « filiales » d'Al-Qaida, au Maghreb et au Yémen en particulier, s'autonomisent jusqu'à la césure pure et simple.
Le second argument a trait au printemps arabe et a été abondamment repris par les éditorialistes, qui ont parlé de « double mort » d'Oussama Ben Laden. Alors que son projet politique consistait à établir de nouveaux califats dans les pays à majorité musulmane, les révolutions populaires n'ont pas posé de telles revendications et réclamaient avant tout plus de démocratie et de liberté(s). Sans pour autant opter en faveur d'un modèle de type « occidental », les nouveaux gouvernemens semblent privilégier la voie turque, avec un rôle modéré de la religion dans les affaires de l'État.
Ce scenario, qui demeure encore une hypothèse, ne signifie pas néanmoins la fin de la menace terroriste. Sous ce chapitre, il y a sans doute bien davantage à attendre d'un théâtre moins couvert par la presse mais peut-être plus décisif pour la stabilité de l'ensemble du Proche-Orient : la Palestine. L'accord conclu entre le Fatah et le Hamas constitue incontestablement un pas important dans la résorption de la guerre civile qui déchirait le pays depuis plus de quatre ans et, on le souhaite, en direction de l'avènement d'un véritable État palestinien. Cette année 2011 est décidément riche en surprises.