L’onde de choc de l’« affaire DSK »
Revue de la presse française du 14 au 20 mai 2011
Attaqué ces dernières semaines pour son train de vie et son éloignement supposé des réalités quotidiennes des Français, Dominique Strauss-Kahn est depuis huit jours au centre d’un scandale de bien plus grande ampleur. Relayée dans la plupart des titres de la presse internationale, l’« affaire DSK » fait référence à cette tentative de viol que le directeur général du Fonds monétaire international aurait perpétrée à l’encontre d’une femme de chambre dans un grand hôtel de New York.
Peu après l’agression, qui se serait déroulée samedi 14 mai en début d’après-midi heure locale, Dominique Strauss-Kahn a été arrêté par la police alors qu’il était sur le point de s’envoler pour le Vieux Continent où il devait rencontrer plusieurs responsables politiques dans le cadre de l’aide financière apportée par le FMI aux pays européens en difficulté. Il a d’abord été mis en garde à vue puis transféré temporairement à la prison de Rikers jusqu’à son inculpation formelle jeudi pour sept chefs d’accusation, dont ceux d’« agression sexuelle », de « séquestration » et de « tentative de viol ». Le juge a alors accepté sa remise en liberté contre paiement d’une caution et assignation à résidence avec obligation de porter un bracelet électronique. Le même jour, Dominique Strauss-Kahn a officiellement démissionné de ses fonctions à la tête de l’institution de Washington pour pouvoir se consacrer pleinement à sa défense, bien que son procès ne soit pas prévu avant plusieurs mois.
Si, sur le plan légal, nous n’en sommes donc qu’au stade de l’enquête, il semblerait que pour la presse comme pour la quasi-totalité du milieu politique, la tombe symbolique de Dominique Strauss-Kahn soit d’ores et déjà creusée. Malgré les appels du Parti socialiste à respecter un « délai de décence » et des déclarations analogues de la part de dirigeants internationaux comme le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, il n’aura pas fallu plus que quelques jours pour que se posent les questions de la succession de « DSK » au poste de directeur général du FMI et, dans le contexte plus restreint de la politique française, de l’avenir de la candidature socialiste aux élections présidentielles de 2012.
La direction du FMI, un poste stratégique pour l’Europe
La chute de Dominique Strauss-Kahn intervient en effet à un moment critique pour le Fonds et ce, pour deux raisons. La première est liée au désordre financier persistant en Europe, où l’assistance du FMI reste indispensable. Or, la nationalité, la sensibilité sociale-démocrate et les talents personnels de l’ancien ministre français de l’Économie auraient selon les observateurs beaucoup joué dans la détermination de l’organisation à ne pas rester passive devant la crise sans toutefois presser trop durement les pays secourus.
La seconde raison se réfère davantage à l’équilibre des forces au sein de l’institution. Il y a moins d’un an, ses membres les plus puissants, c’est-à-dire les États-Unis et les grands États européens, s’étaient engagés à accorder aux pays émergents des droits de vote plus en phase avec leur poids économique actuel. La poursuite du raisonnement voudrait donc que soit remis en cause l’implicite pacte transatlantique selon lequel la direction du FMI doit revenir à un Européen tandis que celle de la Banque mondiale, organisation sœur également née des accords de Bretton Woods en 1944, est assumée par un Américain.
Le départ précipité de Dominique Strauss-Kahn ouvre en conséquence une lutte entre pays occidentaux et émergents pour désigner son remplaçant. Compte tenu de l’état toujours critique des finances publiques de certains États en Europe, des chefs d’État et de gouvernement ainsi que des banquiers centraux européens ont fait savoir qu’ils n’étaient pas prêts dans l’immédiat à abandonner le contrôle du FMI. C’est ainsi que le nom de Christine Lagarde, ministre française de l’Économie en exercice, a été avancé. Toutefois, il n’est pas certain que les puissances émergentes admettent cette position. La nomination d’un candidat européen mais issu d’un État non encore membre de l’UE, comme le Turc Kemal Derviş, pourrait alors constituer la base d’un compromis acceptable par tous en attendant la désignation d’un Asiatique ou d’un Sud-américain dans quelques années, lorsque la situation sera apaisée en Europe.
Redistribution inattendue des cartes avant les présidentielles françaises
Du côté français et plus particulièrement dans les rangs du Parti socialiste, le « coup de tonnerre » a provoqué la consternation en même temps qu’il change complètement la donne en vue des primaires et bien sûr de la présidentielle. L’élimination d’office de Dominique Strauss-Kahn, pourtant considéré comme l’un des candidats les plus à même de remporter l’élection grâce à son expérience internationale et une orientation sociale-démocrate qui lui vaut le respect des centristes, remet dans la course d’autres prétendants. D’une part, la secrétaire générale du PS Martine Aubry se voit déliée du pacte qui impliquait son désistement automatique en cas de participation de DSK. D’autre part, François Hollande, présent sur un créneau de gauche « modérée » proche de celui du champion déchu, pourrait récupérer une partie de ses soutiens. Enfin, la tentation est grande pour les « petits » candidats comme Gérard Collomb, Pierre Moscovici et Manuel Valls, également partisans d’une gauche « moderne » et jusqu’ici rangés derrière Dominique Strauss-Kahn, de descendre personnellement dans l’arène.
La page DSK est donc visiblement déjà tournée, d’autant qu’elle met mal à l’aise un parti qui tend à se draper dans la morale par opposition à la droite « bling bling » et « décomplexée ». Pour autant, au PS comme à l’UMP, on se garde bien d’instrumentaliser l’événement de peur de subir un retour de flamme. Mis à part les commentaires de quelques francs-tireurs vite rappelés à l’ordre, le parti majoritaire s’est tenu à un strict devoir de réserve et a appelé à la « retenue ». L’opinion publique n’est cependant qu’à moitié convaincue si l’on en croit un sondage CSA commandé par le quotidien 20 Minutes : 57% des personnes interrogées considèrent que Dominique Strauss-Kahn est « victime d’un complot ».
Le sens des déclarations relatées par la presse penche il est vrai nettement davantage en faveur du Français que de sa victime présumée. Les féministes ont été les premières à souligner ce parti pris qui s’inscrit à contre-courant des articles étrangers. Les éditorialistes anglo-saxons accusent notamment leurs confrères français de faire preuve de complaisance pour les frasques d’un homme qui n’a jamais caché une inclination parfois immodérée pour les femmes. Libération se fait l’écho de ces critiques sous la plume de Jean Quatremer qui avait signalé dans des articles antérieurs le « défaut » de Dominique Strauss-Kahn.
Un penchant connu mais des journalistes complaisants
Outre le précédent du rapport — consenti — avec l’économiste hongroise Piroska Nagy qui avait failli coûter à DSK son poste à la tête du FMI, une autre affaire plus grave est remontée à la surface. La journaliste française Tristane Banon aurait elle aussi été victime d’une tentative de viol en 2002 mais avait alors décidé de ne pas porter plainte à cause de son amitié avec la fille de Dominique Strauss-Kahn. Elle pourrait maintenant se raviser et entamer une action en justice.
La relative discrétion de la presse hexagonale sur les affaires de mœurs des personnalités publiques proviendrait, d’une part, de lois plus protectrices de la vie privée et, d’autre part, d’une conception différente de la vie publique qui n’a pas — sauf en cas d’acte illégal — à être impactée par des activités privées. C’est l’argument que des journalistes ont avancé pour se justifier d’avoir tu pendant dix ans l’existence de Mazarine Pingeot, fille cachée de feu le président de la République François Mitterrand.
L’explication peine toutefois à convaincre les commentateurs étrangers, prompts à voir dans le scandale DSK la confirmation des clichés sur les Français séducteurs, volages et machos. Beaucoup dressent un parallèle avec la fuite de Roman Polanski, le cinéaste franco-polonais accusé en 1977 d’avoir eu des rapports sexuels avec une mineure. Il avait alors trouvé refuge en France, au grand dam des autorités américaines qui réclamaient son extradition.
Le modèle américain n’est pas néanmoins exempt de tout reproche. Les photos d’un Dominique Strauss-Kahn barbouillé et menotté alors même qu’il n’a pour le moment été reconnu coupable d’aucune infraction font son procès mieux que n’importe quel juge. Quoique la procédure du « perp walk » ne soit pas inhabituelle outre-Atlantique, l’extraordinaire visibilité médiatique de DSK ne donne pas à cet acte de stigmatisation une résonance comparable à celle qu’aurait eu la publicisation d’un accusé lambda. Paradoxalement, les media français ont dénoncé ce traitement tout en diffusant les images en boucle au nom du « droit à l’information ». La forte augmentation des ventes de journaux, de l’audience des émissions de télévision et de la fréquentation des sites Internet d’information montre d’ailleurs qu’ils ont largement exploité le phénomène : une pareille hypocrisie ne contribuera certainement pas à améliorer leur réputation, que ce soit en France ou dans le reste du monde.