Vu de Pologne. Une nouvelle révolution orange en Ukraine ?

Revue de la presse polonaise du 30 novembre au 6 décembre 2013

Le mouvement spontané d’occupation de la place de l’Indépendance Maidan, entamé la semaine dernière suite au refus des autorités ukrainiennes de signer l’accord d’association avec l’Union européenne, ne désenfle pas. Bien que l’ampleur des rassemblements – plusieurs dizaines de milliers de personnes – ne semble pas atteindre les proportions de la révolution orange de 2004, les journalistes polonais présents sur place comme les commentateurs politiques des salles de rédaction ne peuvent s’empêcher de dresser un parallèle entre les deux événements et de se demander quelle attitude devraient aujourd’hui adopter la Pologne et l’Union européenne (UE).

Il est vrai qu’à l’époque, Aleksander Kwaśniewski, alors président de la République polonaise, s’était fortement impliqué dans la résolution de la crise en faisant office de médiateur entre son homologue ukrainien Leonid Koutchma et l’opposition. Ancien membre important du parti communiste polonais et à ce titre familier des hommes de pouvoir de l’ex-Union soviétique, il avait réussi à convaincre l’exécutif ukrainien d’organiser de nouvelles élections qui ont conduit à porter de façon pacifique et démocratique Viktor Iouchtchenko à la tête de l’État. Ce succès lui a valu d’être nommé en 2012 envoyé spécial du Parlement européen pour l’Ukraine en compagnie de Pat Cox, homme politique irlandais pro-européen.

L’intervention musclée de sections spéciales de la milice ukrainienne contre les manifestants samedi 30 novembre pose à nouveau la question d’une médiation extérieure entre le pouvoir et les opposants. Bien que le président de la République Viktor Ianoukovytch s’est distancé de ces agissements, les rumeurs d’instauration de l’état d’urgence ont jeté un froid sur les rapports avec Varsovie, qui a annulé plusieurs rencontres au sommet avec les représentants de Kiev et convoqué une réunion de crise pour définir la position à tenir.

Une opposition désunie et hétéroclite

Dans l’intervalle, Jarosław Kaczyński, dirigeant du parti d’opposition Droit et justice (PiS, conservateur) et Jacek Protasiewicz, vice-président du Parlement européen affilié à la Plateforme civique (PO, libéral) au pouvoir en Pologne, se sont rendus à Kiev pour manifester leur solidarité avec les manifestants. Si une telle action commune est suffisamment rare pour être signalée, cette unité a été de courte durée puisque le PiS a très vite accusé le gouvernement de ne pas en faire assez en faveur de l’Ukraine.

De fait, à la différence de 2004, l’exécutif ukrainien jouit de la légitimité démocratique, au demeurant confirmée par le résultat négatif du vote d’une motion de défiance le 3 décembre. Bien que les diplomaties euro-atlantiques aient mis en garde le pouvoir contre l’usage de la force à l’égard des manifestants, elles ne peuvent donc se permettre de rompre le dialogue avec le président Viktor Ianoukovytch et le gouvernement dirigé par Mykola Azarov.

Par ailleurs, l’opposition ukrainienne n’est pas unie et aura probablement les plus grandes difficultés, en raison de sa grande hétérogénéité, à se rassembler derrière une figure commune. Vitali Klitschko, ancien champion de boxe aujourd’hui à la tête du parti Udar (« Coup »), est sans doute la personnalité la plus populaire mais il doit néanmoins composer avec Arseniy Iatseniouk (Batkivshchyna « Patrie », dont est issue Ioulia Tymochenko) et les nationalistes de Svoboba (« Liberté »). Enfin, une grande partie des manifestants, déçue de l’échec de la révolution orange, refuse toute récupération partisane du mouvement de protestation.

Ne pas rompre les ponts avec Ianoukovytch

Dans ces conditions, certains éditorialistes redoutent qu’une réaction trop ferme des pays occidentaux, par exemple sous forme de sanctions ou d’un soutien trop marqué à l’opposition, ne déstabilise l’Ukraine et ne la jette dans les bras de la Russie. Krzysztof Rak souligne ainsi que la priorité pour la diplomatie polonaise ne doit pas être l’intégration de l’Ukraine à l’UE, peu réaliste à moyen terme, mais le maintien de son indépendance afin qu’elle continue à jouer un rôle de tampon vis-à-vis de la Russie. Or, pour cela, il ne faut pas prendre le risque de couper les ponts avec Viktor Ianoukovytch mais plutôt de l’encourager à établir un compromis avec ses opposants. Maciej Krasuski, vice-président de la fondation « Aide aux Polonais de l’Est », partage le même avis et met en garde contre le scenario d’une « loukachenkisation » de l’Ukraine, en référence au président autoritaire de la Biélorussie. Ce pays paria pour l’UE n’a en effet pour seul allié que la Russie qui grignote petit à petit sa souveraineté.

L’appel du quotidien Rzeczpospolita à lever l’obligation de visa pour les ressortissants ukrainiens désireux de se rendre sur le territoire de l’UE est une démonstration de cette politique de la porte ouverte qui mise sur le changement à long terme via des contacts plus fréquents entre les Ukrainiens et l’UE afin qu’ils se rendent compte par eux-mêmes que le modèle européen est plus attractif que l’alternative offerte par la Russie. À plus court terme, Radosław Sikorski et Carl Bildt, ministres des Affaires étrangères de Pologne et de Suède – les deux pays à l’origine de l’initiative du Partenariat oriental – ont proposé à l’occasion d’une réunion de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à Kiev en fin de semaine un nouveau compromis : la reprise des discussions autour de l’accord d’association et une aide financière du Fonds monétaire international (FMI) contre la création d’un Conseil pour les réformes et l’intégration européenne qui s’assurerait, avec la participation de l’opposition, du bon usage de l’aide.

Articles phares :
- Tomasz Bielecki, « Majdan wrze », Gazeta Wyborcza, 2 décembre 2013 ;
- Paweł Wroński, « Kwaśniewski: Janukowycz nie docenił poparcia ludzi dla UE » (entretien avec Aleksander Kwaśniewski, ancien président de la République de Pologne), Gazeta Wyborcza, 2 décembre 2013 ;
- Bogusław Chrabota, « Namioty na Kreszczatiku. Trauma Janukowycza », Rzeczpospolita, 2 décembre 2013 ;
- Bogusław Chrabota, « Pomarańczowa, wersja 2.0 », Rzeczpospolita, 2 décembre 2013 ;
- Jarosław Giziński, Piotr Jendroszczyk, « Powtórka z rewolucji », Rzeczpospolita, 2 décembre 2013 ;
- Maciej Krasuski, « Ukraińska ruletka », Rzeczpospolita, 2 décembre 2013 ;
- Tomasz Bielecki, « Eurorewolucja przejmuje Kijów », Gazeta Wyborcza, 3 décembre 2013 ;
- Mirosław Czech, « Premier Azarow powinien odejść », Gazeta Wyborcza, 3 décembre 2013 ;
- Rédaction de Rzeczpospolita, « Apel „Rzeczpospolitej”: Znieśmy wizy dla Ukraińców! », Rzeczpospolita, 3 décembre 2013 ;
- Piotr Jendroszczyk, « Ukraina rozdarta na pół », Rzeczpospolita, 3 décembre 2013 ;
- Jędrzej Bielecki, « Zły dzień dla opozycji », Rzeczpospolita, 4 décembre 2013 ;
- Krzysztof Rak, « Ukraińskie złudzenie », Rzeczpospolita, 5 décembre 2013 ;
- Jędrzej Bielecki, « Rewolucja umiera powoli », Rzeczpospolita, 6 décembre 2013 ;
- Anna Słojewska, Andrzej Stankiewicz, « Unia oferuje mediację », Rzeczpospolita, 6 décembre 2013.