Nouveau jeu de chaises musicales au gouvernement

Revue de la presse française du 26 février au 4 mars 2011

La polémique ne désenflait pas : pire, elle s’aggravait avec les révélations d’aller-retours en avion gouvernemental de François Fillon entre Paris et sa circonscription électorale en Sarthe, à une heure de la capitale en train. Le président de la République s’est finalement résolu à y mettre un terme en annonçant au cours d’une solemnelle allocution radiotélévisée le soir du dimanche 27 février le remplacement de plusieurs ministres.

Tout d’abord, Michèle Alliot-Marie abandonne le Quai d’Orsay à Alain Juppé. Le ministre était en première ligne des accusations pour sa proposition d’aide au régime de Ben Ali en matière de maintien de l’ordre puis pour la découverte de ses récentes vacances en Tunisie payées par l’homme d’affaires Aziz Miled, un proche du dictateur déchu. Quoiqu’elle ait reconnu les faits, elle estime n’avoir pas commis de faute et justifie sa démission par la nécessité de préserver la crédibilité de la voix de la France.

Ses collègues de l’UMP ont tenu un discours analogue, à commencer par le chef de l’État qui n’a pas cité son nom une seule fois lors de son intervention et qui s’est contenté d’expliquer le remaniement par les bouleversements qui traversent depuis quelques mois de nombreux pays arabes. Le premier ministre François Fillon a de son côté qualifié la décision de « politique » et non pas de « morale ». Du haut de ses soixante-quatre ans, Michèle Alliot-Marie peut malgré cette sortie brusque se targuer d’un bilan plus qu’honorable avec neuf années consécutives au gouvernement, tour à tour à la Défense, l’Intérieur, la Justice puis enfin aux Affaires étrangères.

Si Michèle Alliot-Marie, surnommée « MAM », était reconnue pour son grand professionnalisme, le Quai d’Orsay ne perd pour autant pas au change avec le retour d’Alain Juppé, jusqu’ici ministre de la Défense. Celui que son mentor Jacques Chirac appelait « le meilleur d’entre nous » est en effet un familier de la maison pour l’avoir dirigé de 1993 à 1995, alors que la France connaissait une période de cohabitation entre le socialiste François Mitterrand à l’Élysée et le libéral Édouard Balladur à Matignon. Les diplomates français comme étrangers en ont gardé un excellent souvenir en raison notamment de son excellente connaissance des dossiers et de sa stature.

Le quai d’Orsay regagne de l’importance

Alain Juppé avait déjà été pressenti pour retrouver le fauteuil de ministre des Affaires étrangères lors du précédent remaniement en novembre dernier, marqué du signe de l’expertise, mais il avait décliné l’offre car il ne souhaitait pas jouer les figurants vis-à-vis des influents conseillers du président, en particulier Jean-David Levitte et Claude Guéant. Cette fois-ci, Alain Juppé est parvenu à imposer ses conditions : il conserve son mandat de maire de Bordeaux et obtient le départ anticipé de Jean-David Levitte tandis que Claude Guéant quitte l’Élysée pour se retrouver place Beauvau.

C’est la deuxième modification du gouvernement voulue par Nicolas Sarkozy. Son secrétaire général passe désormais à la tête du puissant ministère de l’Intérieur, une machine qu’il connaît bien pour y avoir effectué une grande partie de sa carrière. Depuis sa sortie de l’École nationale d’administration au début des années 1970, Claude Guéant a fréquenté les cabinets ministériels de Christian Bonnet, Charles Pasqua et Jean-Chevènement avant de rejoindre l’équipe de Nicolas Sarkozy. Il a également occupé le poste de directeur général de la police nationale entre 1994 et 1998.

En devenant ministre de l’Intérieur, Claude Guéant fait une victime en la personne de Brice Hortefeux, pourtant ami proche du président. Sa condamnation pour « injure raciale non publique », ses relations médiocres avec les policiers et sa gestion hasardeuse de la tempête de neige auront néanmoins eu raison de lui, d’autant que Nicolas Sarkozy souhaite reprendre l’initiative face à des résultats ambigus dans la lutte contre la délinquance et de la résonance dans l’opinion des positions de Marine Le Pen sur l’insécurité.

Dans ce petit jeu de chaises musicales, le maroquin de la Défense rendu disponible par la nouvelle nomination d’Alain Juppé est revenu à Gérard Longuet. L’actuel président du groupe UMP au Sénat espérait déjà décrocher un ministère en novembre et fulminait d’avoir été finalement tenu à l’écart. Il prend maintenant sa revanche et permet par la même occasion au chef de l’État de satisfaire l’aile libérale du parti, qui n’avait plus de représentant au gouvernement depuis le dernier remaniement.

Un remaniement pour tenter coûte que coûte de sauver les cantonales

L’opération semble avoir dans une certaine mesure réussi si l’on en croit les commentaires des députés de la majorité qui ont suivi l’annonce. À l’approche des élections cantonales de la fin du mois de mars et de l’éventualité d’un basculement à gauche du Sénat en septembre ‒ une première depuis la fondation de la Ve République en 1958 ‒, certains étaient mal à l’aise devant le manque de lisibilité de l’action de l’exécutif, au point que la candidature même de Nicolas Sarkozy à sa propre succession en 2012 devient objet à discussion.

La presse et l’opposition ne s’y trompent d’ailleurs pas et raillent à divers degrés la justification de ce énième changement de l’équipe gouvernementale par le printemps arabe. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l’Assemblée nationale, parle de « fin de règne » tandis que François Hollande y voit le signe de « l’affaiblissement de l’autorité du président ». De toutes parts, nombreuses sont également les voix qui s’interrogent sur le rôle du premier ministre François Fillon dans cette nouvelle configuration.

Bien qu’il n’ait pas publiquement manifesté d’inquiétude quant à sa position, l’arrivée de personnalités fortes au sein de son gouvernement, en particulier d’Alain Juppé, risque de le reléguer à l’arrière-plan. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, qui est maintenant le seul à pouvoir se prévaloir de la distinction symbolique de ministre d’État, bénéficie de la confiance et de l’oreille de l’Élysée. Il a d’autre part reçu des gages pour mener sa politique de façon relativement autonome, de sorte que plusieurs observateurs le qualifient de Premier ministre bis, de vice-Premier ministre, voire de vice-président. Il est vrai cependant que François Fillon n’a jamais occupé le terrain de la diplomatie et la concurrence pourrait donc s’avérer moins redoutable que prévu.

La nouvelle division du travail entre l’Élysée et le Quai d’Orsay semble enfin se refléter dans le profil du successeur de Claude Guéant au secrétariat général de la présidence de la République, Xavier Musca. Cet expert en questions économiques et financières et admirateur de l’orthodoxie allemande trouvera sans nul doute à employer ses talents dans le cadre de la présidence française du G20 et des réformes de l’Union européenne dans le domaine de la compétitivité. De quoi laisser le champ libre pour les sujets plus politiques à Alain Juppé et aux diplomates professionnels, qui se plaignaient encore récemment de n’être pas assez entendus et de voir la politique étrangère de la France confisquée par les « sarkoboys ».