Les dettes de la France et de huit autres pays de la zone euro dégradées

Revue de la presse française du 14 au 20 janvier 2012

La nouvelle était attendue mais l’« onde de choc » (Le Monde) qu’elle a provoquée n’en a pas moins été retentissante : vendredi 13 janvier au soir, l’agence de notation américaine Standard & Poor’s rendait publique sa décision de revoir à la baisse la notation des dettes de neuf États appartenant à la zone euro, dont celle de la France. Pour les plus superstitieux, la date ne pouvait avoir été mieux choisie.

Tout au long de la semaine suivante, les colonnes des grands journaux français ont donc fait la part belle aux commentaires concernant la crédibilité des agences de notation, les conséquences de la dégradation pour les économies française et européennes ainsi que l’impact politique de la décision sur les élections présidentielles à venir.

Sur le premier thème, la notion de « prophéties autoréalitrices » est apparue à plusieurs reprises sous la plume d’éditorialistes ou d’économistes pour démontrer que les agences de notation, loin d’être de simples « thermomètres » de la crise, jouent un rôle important dans sa résolution ou son aggravation. Parce que les évaluations orientent les comportements des investisseurs et sont prises en compte par les institutions financières pour remplir leurs obligations réglementaires, elles peuvent conduire à accroître la méfiance autour d’un émetteur de dette et à l’entraîner dans une spirale infernale de hausse des taux d’intérêt et du risque de défaut.

Les agences sont d’autant plus critiquées qu’elles estampillaient AAA il y a quatre ans encore des titres pourtant composés d’emprunts toxiques : les fameux subprimes. D’autre part, Standard & Poor’s est actuellement la seule à avoir dégradé la note de la France d’un cran, à AA+. Ses concurrentes Fitch et Moody’s, dont les modèles accordent une pondération moindre aux facteurs politiques, n’ont pas retiré à l’État français son fétiche bien qu’elles l’aient déjà placé « sous perspective négative » ou devraient le faire bientôt. Autrement dit, il existe une chance sur deux pour qu’une dégradation advienne dans les deux années à venir. Enfin, les experts s’interrogent sur la cohérence des notes les unes par rapport aux autres, avec par exemple un Royaume-Uni toujours AAA malgré un endettement très lourd ou à l’inverse l’Italie, dégradée de deux crans de A à BBB+ et désormais considérée moins sûre pour les investisseurs que le Mexique.

Des taux d’intérêt en baisse malgré la dégradation

Dans le même temps, les emprunts lancés par les Trésors espagnol et français au cours de la semaine sont venus relativiser le poids des évaluations dans les analyses des prêteurs, qui ont exigé des taux d’intérêt plus faibles que précédemment. L’évolution du spread — l’écart avec les taux des titres jugés les plus solides comme ceux de l’Allemagne — tendrait de fait à montrer que les marchés avaient déjà largement anticipé la dégradation. De plus, le Figaro note que la Banque centrale européenne (BCE) a intensifié ses opérations non conventionelles depuis le début de l’année. Liée par les traités constitutifs de l’Union qui lui interdisent d’acheter directement les bons des États membres, elle peut néanmoins en faire l’acquisition sur le marché secondaire, c’est-à-dire auprès d’organismes autres que les Trésors nationaux. Les facilités de refinancement qu’elle offre aux banques commerciales leur permettent de manière conjointe d’investir dans ces titres souverains, avec pour conséquence une baisse des taux.

Ceci ne signifie pas malgré tout que la décision de Standard & Poor’s est absolument anodine. Comme le pressentaient dès le début de semaine la plupart des journalistes spécialisés dans les questions économiques, la dégradation de la dette de l’État français a déclenché un effet de cascade sur la signature de plusieurs organismes publics nationaux ainsi que sur celle du Fonds européen de stabilité financière (FESF). L’impact sur leur capacité à lever des fonds reste encore inconnue, même si l’on assure à Luxembourg — siège du FESF — que le Fonds ne devrait pas rencontrer de difficultés supplémentaires pour poursuivre sa mission. Le gouvernement allemand, qui jouit toujours de son côté d’un AAA, a de toute façon déclaré ne pas envisager d’augmentation des garanties.

Au final, c’est dans un autre domaine que l’inflexibilité de Berlin a été égratignée. Dans les commentaires de sa décision, Standard & Poor’s explique qu’« un paquet de réformes ne reposant que sur le seul pilier de l’austérité budgétaire risque de devenir auto-destructeur » et met en avant les « déséquilibres extérieurs croissants et des divergences dans la compétitivité entre le noyau de la zone euro et la soi-disant “périphérie” ». Le Figaro y trouve du grain à moudre pour le débat qui oppose en Europe partisans de la « relance de croissance » et défenseurs de la « rigueur budgétaire ». Face à une Angela Merkel « Teflon », Mario Monti en Italie et William Hague au Royaume-Uni semblent vouloir, au moins dans le verbe, rééquilibrer les plans d’austérité avec des mesures plus favorables à la « croissance et […] l’emploi ».

Une opinion sensibilisée au triple A

En France, l’exécutif s’est essentiellement employé à minimiser la nouvelle, dans la continuation des efforts entrepris en ce sens depuis plusieurs semaines. Le chef de l’État Nicolas Sarkozy avait lui-même déclaré en décembre que « si la France perdait son AAA, nous affronterions cette situation avec sang-froid et calme ». C’était pourtant au nom de la défense de ce « talisman » qu’il avait appuyé le gouvernement dans l’adoption de réformes très impopulaires, comme le recul de l’âge légal de départ à la retraite. Le Premier ministre François Fillon avait aussi en partie justifié les deux récents paquets budgétaires par la nécessité pour la France de maintenir son rang.

Sans surprise, les partis de l’opposition se sont empressés d’utiliser la dégradation pour alimenter leur campagne, à trois mois du premier tour de l’élection présidentielle. Tandis que les socialistes et les centristes prenaient acte de l’échec d’une politique tout en reconnaissant devoir composer avec cet élement nouveau dans l’élaboration de leur programme, les candidats « anti-système » dénonçaient avec énergie la « dictature des marchés » et le carcan de l’euro.

La critique trouve un écho dans l’opinion, travaillée depuis des mois par l’omniprésence de la crise dans les media (voir nos Lettres du second semestre de l’année 2011) et par des forces politiques qui s’en sont abondamment servies. Les trois lettres magiques, qui étaient auparavant rarement entendues en dehors des professionnels de l’économie et de la finance, seraient selon les instituts d’études d’opinion entrées dans le vocabulaire courant et devenues pour les Français une source de préoccupation sérieuse en dépit de lien de causalité apparent avec leur quotidien. Les élus, souvent questionnés sur la thématique, accréditent cette hypothèse.

Reste en définitive à savoir ce que proposent le gouvernement et ses opposants pour tenter de récupérer le précieux sésame ou à tout le moins ne pas laisser la situation se dégrader. François Fillon a d’ores et déjà exclu un troisième plan de rigueur mais pourrait procéder avant avril « si nécessaire » à des « ajustements ». Sans doute les principaux griefs qu’adresse Standard & Poor’s à la France — son lourd endettement et la rigidité de son marché du travail — devront attendre les élections présidentielle et législative pour commencer à faire éventuellement l’objet de réformes. C’est en tout cas le programme qu’appelle de ses vœux l’éditorialiste du Figaro Gaëtan de Capèle tandis que pour son homologue à Libération Nicolas Demorand, « la mâchoire pour anesthésier toute forme de pensée [alternative à la rigueur] est en place ». Les urnes trancheront le débat.

Articles phares :
- Le Figaro, La zone euro à nouveau plongée dans la tourmente, J.-J. Mével, 16 janvier 2012 ;
- Le Figaro, Zone euro : Standard & Poor’s dégrade le fonds de sauvetage, Draghi inquiet, Alexandrine Bouilhet, 17 janvier 2012 ;
- Le Figaro, Après la France, S & P dégrade le secteur public, Bertille Bayart, 18 janvier 2012 ;
- Le Figaro, Les marchés ignorent les mises en garde des agences de notation, Alexandrine Bouilhet, 20 janvier 2012 ;
- Le Monde, À quoi ressemble la vie après la perte de la note AAA ?, Clément Lacombe, 16 janvier 2012 ;
- Le Monde, La décision de Standard & Poor’s confirme une zone euro à quatre vitesses, Clément Lacombe, 16 janvier 2012 ;
- Le Monde, Désintoxiquons-nous enfin des agences de notation !, N. Gaillard, 17 janvier 2012 ;
- Le Parisien-Aujourd’hui en France, Perte du triple A : Fillon prévoit des « ajustements », Valérie Hacot, 15 janvier 2012 ;
- Libération, « C’est le sarkozysme qui est dégradé », Christophe Forcari, 14 janvier 2012 ;
- Libération, À qui profite la perte du triple A ?, Grégoire Biseau, 16 janvier 2012.