Le programme nucléaire français résiste à la catastrophe japonaise
Revue de la presse française du 12 au 18 mars 2011
Si la Libye a en fin de semaine dernière volé la une des médias français suite à la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies autorisant l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de son territoire, l’actualité générale des jours précédents a été très largement dominée par la catastrophe qu’affronte le Japon depuis maintenant une dizaine de jours.
Vendredi 11 mars, à 14h46 heure de Tokyo (6h46 à Paris), l’archipel japonais était secoué par le plus terrible tremblement de terre de son histoire avec une magnitude de 8,9 sur l’échelle de Richter. Le pays est certes rompu aux séismes mais même les épisodes meurtriers du Kanto, qui avait en 1923 ôté la vie de 140 000 personnes, et plus récemment de Kobe, où périrent plus de 6 400 habitants en 1995, n’avaient pas vu se déchaîner une telle puissance. De plus, les mouvements sismiques ont généré dans la foulée un tsunami qui a traversé par endroits une bande distante de cinq kilomètres des côtes du Pacifique. Ces phénomènes naturels, pour dévastateurs qu’ils soient, n’allaient cependant pas tarder à laisser place à un événement de plus grande envergure encore : l’éventualité d’un accident nucléaire.
En effet, malgré des conditions géographiques peu propices à l’installation de centrales nucléaires et une histoire marquée par les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, le Japon détient le troisième parc mondial avec dix-sept centrales et cinquante-cinq réacteurs couvrant environ 30% de sa consommation d’électricité. Au lendemain du tremblement de terre, des journaux français titraient avec optimisme que « les centrales nucléaires [avaient] échappé au pire » (Le Figaro) et qu’« [elles avaient] bien résisté au séisme » (Le Parisien) sans imaginer qu’un cinglant démenti leur serait adressé en même temps de l’autre côté du globe.
Aux environs de 15h30 (7h30 heure française), une première explosion se fit entendre à la centrale de Fukushima, située plus de deux cents kilomètres au nord de la capitale Tokyo. L’incident est dû au tsunami, qui a mis hors service une partie des systèmes de refroidissement des réacteurs, mais non au tremblement de terre lui-même puisque la plupart des édifices japonais sont construits selon des normes antisismiques draconiennes qui les mettent en général à l’abri des conséquences de ces phénomènes très fréquents au Japon.
La panne toutefois fait courir le risque d’une fusion des cœurs des réacteurs avec les matériaux qui l’entourent et de nouvelles explosions qui aboutiraient à des rejets de particules hautement radioactives dans l’atmosphère. Depuis samedi 12, les autorités japonaises tentent donc de refroidir les réacteurs en cause, au besoin par des largages d’eau de mer. À l’heure où ces lignes sont écrites, la situation n’est toujours pas sous contrôle bien que le réapprovisionnement en électricité des dispositifs de refroissement éloigne pour un moment la perspective du pire.
Un élément de la compétitivité mais aussi de la fierté nationale
Le débat prend une acuité particulière en France, deuxième producteur mondial d’énergie nucléaire derrière les États-Unis avec dix-neuf centrales et cinquante-huit réacteurs réacteurs mais beaucoup plus dépendante de cette source puisque 78% de son électricité en provient. La filière serait d’autre part à l’origine de trois cent mille emplois directs et indirects dans le pays. Secteur technologique de pointe, elle contribue de façon significative au commerce extérieur de la France et à la compétitivité de son industrie grâce à un coût du kilowatt-heure relativement bon marché. Enfin, on ne saurait négliger la forte dimension symbolique du programme nucléaire civil français qui résulte à la fois de la volonté d’indépendance nationale, véritable ligne de force de la politique étrangère de la France depuis l’époque du général de Gaulle, et du savoir-faire d’ingénieurs qui occupent traditionnellement d’importants postes de responsabilité dans l’appareil d’État.
Ces spécificités hexagonales rendent moins surprenant le consensus assez large autour de la technologie nucléaire civile qui rassemble la quasi-totalité de la classe politique, extrêmes compris, alors que le thème semble beaucoup clivant dans d’autres pays européens, par exemple en Allemagne. Une voix discordante se fait néanmoins entendre du côté des écologistes, qui dénoncent depuis longtemps un programme jugé coûteux et risqué. La catastrophe japonaise leur a donné matière à confirmer leurs thèses et à proposer sur cette base la tenue d’un référendum pour demander directement aux citoyens s’ils désirent oui ou non sortir à terme du nucléaire. Souvent considéré comme irréaliste, ce projet a mûri et ne consiste plus en l’arrêt pur, simple et immédiat des centrales. Il combinerait sobriété énergétique, efficacité énergétique et développement des énergies renouvelables en visant à la fois les comportements, les équipements consommateurs d’énergie et en amont sa production. L’objectif serait de réaliser une transition énergétique qui permettrait de sortir du nucléaire à l’horizon 2040. Citée par le Monde du 16 mars, la proposition peut également être retrouvée sur le site de ses auteurs négaWatt.
« Pas question de sortir du nucléaire »
L’exécutif ne semble cependant pas tabler sur une telle option, le chef de l’État ayant clairement affirmé lundi devant les principaux dirigeants de l’UMP qu’il n’était « pas question de sortir [du nucléaire] ». Au contraire, la catastrophe japonaise donnerait raison à la technologie française qui, bien que plus chère que ses concurrentes, serait « dix fois plus sûre ». On se rappelle à cet égard la déconfiture qu’avait connue à la fin de l’année 2009 le consortium composé entre autres par EDF et Areva à Abu Dhabi. Le marché fut alors remporté par le coréen Kepco, principalement dit-on parce que son offre était plus abordable que les coûteux réacteurs EPR français de troisième génération.
L’opposition est moins unanime mais reste de façon générale favorable au nucléaire. Le Parti socialiste, en la personne de Martine Aubry, a néanmoins réclamé qu’un « audit » de sécurité soit effectué pour chacune des centrales. Il est vrai que si la France n’est pas aussi exposée aux séismes et aux raz-de-marée que le Japon, certains de ses réacteurs sont situés sur des zones à risque. Le premier ministre a accédé à cette demande et ajouté que les résultats de l’enquête seraient rendus « intégralement publics ». Les autorités nationales de sûreté nucléaire de l’Union européenne et les industries du secteur se sont au demeurant mises d’accord mardi, sous l’impulsion de l’Autriche et du commissaire européen à l’Énergie Günther Oettinger, pour soumettre les cent cinquante-trois réacteurs présents sur le territoire de l’UE à des tests de résistance.
Ce soin particulier accordé à la transparence, qui se traduit également par la mise en ligne des mesures de radioactivité sur le site www.mesure-radioactivite.fr, fait écho à l’attitude des autorités françaises au moment de l’explosion de Tchernobyl. Elles s’étaient alors plongées dans un profond déni, allant jusqu’à tenter de convaincre que le nuage radioactif s’était arrêté aux frontières du pays contre toute vérité scientifique. Si des progrès ont entretemps été enregistrés en la matière, notamment par la création de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ‒ un organe indépendant ‒, on remarquera que le Japon est aujourd’hui en proie à de semblables polémiques, que ce soit autour de son gouvernement ou de Tepco, l’opérateur de la centrale de Fukushima. Au-delà des considérations techniques portant sur la sûreté des installations, les leçons à tirer de ce drame ne pourront pas faire l’économie de la question de l’équilibre à déterminer entre devoir d’information du public et nécessité d’éviter une panique dommageable aux populations elles-mêmes.