La valeur récréationnelle des forêts britanniques estimée à 550 millions d’euros par an

Si la nature pouvait facturer les bienfaits dont jouissent les contribuables du Royaume-Uni, ils devraient collectivement acquitter chaque année une somme de 550 millions d’euros pour les activités récréatives et 210 millions pour le paysage offerts par les seules forêts. En ajoutant les services environnementaux qu’elles produisent, le total s’élèverait à 1,36 milliard d’euros par an selon les experts du projet d’Évaluation de l’écosystème national britannique (UK NEA). À titre de comparaison, l’agence de voyages Opodo enregistre un chiffre d’affaires du même ordre. Comment appréhender ce type de résultat ?

La mesure de la valeur économique de la biodiversité et de ses services écosystémiques ne constitue pas un thème inédit sur ce blog. Toutefois, alors qu’il a jusqu’ici surtout été éclairé sous l’angle théorique, la publication au début du mois de juin des travaux des experts du projet UK NEA donne un premier aperçu du type de rapport que l’on s’attend à voir fleurir ça et là parmi les autres pays européens, conformément à la stratégie dévoilée au printemps par la Commission. La révolution n’est donc venue ni des mathématiciens, ni des physiciens mais des économistes : ce sont eux qui sont en train de reprendre le flambeau de cette orgueilleuse entreprise consistant à résumer la complexité du monde en une seule grandeur. Mieux, ils n’ont choisi pour cela ni équation compliquée, ni obscure particule que ne connaissent qu’une petite poignée de scientifiques. L’unité de mesure capable d’exprimer l’essence de toute chose se trouve en effet dans votre poche et vous la manipulez tous les jours. Il s’agit de l’argent — on se dispute encore pour n’employer qu’une devise mais les taux de change fournissent en attendant un palliatif suffisant.

Comme le fait remarquer avec ironie le spécialiste des questions environnementales au Guardian George Monbiot, on pourrait presque s’attendre à ce que dans quelques années, nos plus brillants cerveaux mettent au point une méthode pour déterminer la valeur marchande de l’amour. Le sexe, de son côté, n’a pas eu besoin de leur intervention pour se voir attribuer un prix et si vous souhaitez vous livrer à l’exercice, plutôt que vous plonger dans de difficiles calculs de coût d’opportunité et de risque, allez faire un tour en voiture à la tombée de la nuit. Vous gagnerez un temps précieux !

Plus sérieusement, les arguments de principe battaient déjà en brèche l’opportunité d’une mesure économique des services rendus par la nature et les chiffres auxquels ont abouti les experts du projet UK NEA ne font que confirmer l’absurdité d’une telle tentative. Malgré de louables efforts d’imagination en vue de trouver des moyens sérieux d’évaluer le prix d’un paysage ou les économies générées par les espaces verts en termes de dépenses de santé, ils se perdent le plus souvent dans d’improbables conjectures qui rendent la méthodologie employée au mieux discutable et au pire, franchement erronée.

Prenons un exemple concret avec la valeur d’agrément d’un paysage. L’une des données retenues pour le calcul est l’écart de prix moyen observé dans une même région entre des maisons aux caractéristiques comparables mais qui sont ou non entourés de beaux panoramas. On ne saurait dénier que la présence d’un cadre verdoyant renchérira le bien immobilier tandis qu’à l’inverse, le voisinage d’une autoroute ou d’un aéroport compromettra fortement ses chances d’être revendu à bon prix. Imaginons que le différentiel entre un paysage particulièrement impressionnant et un paysage plus banal mais pas nuisible s’élève à 10 000 euros — nous sommes à la campagne et les maisons ne sont pas si chères —. Il n’est pas irréaliste de penser que vous seriez prêt à ajouter cette somme pour vous réveiller chaque matin devant une majestueuse forêt aux senteurs suaves. Peut-on pour autant estimer la valeur d’agrément de la forêt à partir de cette base ?

Considérons le même exemple et avançons dans le temps. Dix ans plus tard, la municipalité a besoin de transformer la forêt en gigantesque parking et bien que le terrain ne vous appartienne pas, elle se propose de vous indemniser à hauteur du préjudice visuel subi. Toutes choses égales par ailleurs — le prix moyen de l’immobilier n’a pas changé, vous n’avez pas besoin de vendre et vos préférences sont restées identiques —, seriez-vous satisfait d’empocher 10 000 euros en compensation de la perte du paysage ? Sans doute pas, et le nombre de collectifs qui se dressent contre des projets de construction, même lorsque de gros chèques sont à la clé, montrent bien que la valeur marchande du panorama telle qu’enregistrée au cours des transactions immobilières est en réalité loin d’épuiser sa valeur aux yeux des riverains et des promeneurs occasionnels.

Pourtant, selon un blogueur spécialiste des réglementations environnementales, la marchandisation est le seul moyen dont nous disposons aujourd’hui pour protéger la biodiversité et les écosystèmes. Il cite le funeste destin de l’île de Pâques comme illustration d’une situation d’échec de marché dans laquelle les Rapanuis ont fini par épuiser les ressources de leur petit territoire en l’absence de mécanisme leur indiquant les conséquences à long terme de la déforestation. Il leur aurait pour cela fallu connaître les usages présents et futurs du bois et adapter le signal-prix en fonction des quantités nécessaires au renouvellement du stock. Une autre solution, plus simple, aurait consisté à sanctuariser des parcelles pour laisser à la faune et à la flore le temps de se régénérer. Ce n’est donc pas tant de connaissances en économie dont ils auraient eu besoin mais précisément de réglementation, donc de droit.