Vu de Pologne. Indignation après les propos de David Cameron sur les immigrés polonais
Revue de la presse polonaise du 4 au 10 janvier 2014
L’affaire de la semaine tourne sans conteste autour de la proposition énoncée par le Premier ministre britannique David Cameron dimanche 5 décembre de limiter les versements d’allocations familiales dues aux résidents de Grande-Bretagne pour le compte d’enfants qui vivent ailleurs dans l’Union européenne (UE). Le chef du gouvernement a cité le cas des familles polonaises, devenues en l’espace de quelques années l’une des minorités les plus importantes du pays après l’adhésion de la Pologne à l’UE en 2004 et l’ouverture concomitante du marché du travail britannique aux ressortissants polonais.
Quelques mois après une autre déclaration dans laquelle David Cameron qualifiait cette ouverture d’« erreur », la stigmatisation des immigrés polonais, accusés de profiter du système social britannique, a provoqué en Pologne des réactions indignées. Le chef du gouvernement polonais Donald Tusk et son principal opposant Jarosław Kaczyński ont tour à tour appelé le 10 Downing Street pour demander des explications tandis que le ministre des Affaires étrangères Radosław Sikorski, comme David Cameron ancien élève d’Oxford, s’est fendu d’une cinglante réplique sur Twitter.
La presse et le personnel politique sont néanmoins conscients que les propos du Premier ministre britannique étaient avant tout destinés à la scène intérieure avec une visée électoraliste, à un peu plus d’un an du renouvellement des députés de la Chambre des communes. Or, le parti conservateur de David Cameron, aujourd’hui partenaire dominant de la coalition au pouvoir, est mal en point dans les sondages. La population, épuisée par une forte crise économique et des coupes radicales dans les dépenses sociales, lui préférerait le parti travailliste mais les tories sont aussi dans une moindre mesure concurrencés sur leur droite par le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), ultra-libéral en termes économiques mais politiquement très souverainiste.
Une rhétorique essentiellement à usage interne
L’incrimination de l’immigration serait donc, pour David Cameron, un moyen de limiter la fuite de son électorat vers l’UKIP mais aussi de contenir son propre parti, dont une aile est sensible aux thèses de l’UKIP. L’opinion, dans le même temps chauffée à blanc par une presse en grande partie aux mains du magnat eurosceptique Rupert Murdoch, semble en effet jusqu’à un certain point adhérer à l’idée que les étrangers voleraient les emplois et les avantages sociaux des Britanniques. Des études conduites par des universités britanniques démontrent pourtant que l’impact global des immigrés est largement positif pour l’économie du pays.
En outre, le montant total des allocations en question est très faible : environ 25 000 enfants de familles polonaises entrent dans le cas de figure et 15 000 d’autres pays. Ces aides coûteraient au budget britannique deux ou trois millions de livres par mois, une somme infime au regard des milliards apportés chaque année par les contribuables étrangers sous forme d’impôts. Les supprimer serait enfin contraire au droit communautaire puisque cela découragererait l’exercice de la liberté de circulation des personnes et leur droit de travailler dans un autre pays de l’Union.
Au-delà des effets de manche, le journaliste Paweł Wroński du quotidien Gazeta Wyborcza se demande si la rhétorique anti-européenne des conservateurs britanniques aura des conséquences sur leur alignement au Parlement européenne. Auparavant membres du Parti populaire européen (centre droit) auquel appartient aussi la Plateforme civique (PO, au pouvoir en Pologne), ils l’avaient quitté en 2009 pour créer le groupe des conservateurs et réformistes européens, moins favorable à l’intégration. Ce même groupe accueille les eurodéputés de Droit et justice (PiS, droite conservatrice), principal parti d’opposition au gouvernement en Pologne. Toutefois, à mesure que la position des conservateurs britanniques se durcit à l’encontre des immigrés, notamment polonais, il deviendra selon Paweł Wroński de plus en plus difficile pour le PiS de siéger sur les mêmes bancs. Il devra alors se priver d’un important allié sur la scène européenne ou il s’exposera sur le plan intérieur aux accusations de positionnement anti-polonais.
Articles phares :
- Roman Imielski, « Cameron twardy dla obcych », Gazeta Wyborcza, 8 janvier 2014 ;
- Jędrzej Bielecki, « Cameron w kozim rogu », Rzeczpospolita, 8 janvier 2014 ;
- Bartosz Marczuk, « Brytyjska histeria », Rzeczpospolita, 8 janvier 2014 ;
- Paweł Wroński, « Halo, czy to Mr Cameron? », Gazeta Wyborcza, 9 janvier 2014.