Guerre en Ukraine : une hirondelle ne fait pas le printemps

Face aux événements qui depuis un an mettent fortement à l’épreuve l’ordre international, de l’Ukraine à l’État islamique, le relatif oubli dans lequel est tombée la question des armes chimiques syriennes semble presque inévitable. Pourtant, la manière dont elle a été traitée – ou plutôt non traitée – doit nous mettre en garde contre la tentation d’appliquer une méthode similaire à la guerre en Ukraine.

Il n’y a pas si longtemps, en août 2013, le monde semblait convaincu de l’imminence d’une attaque américaine contre la Syrie en réponse à l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad. Le président Barack Obama avait en effet fixé quelques semaines auparavant la ligne rouge à ne pas franchir, sous peine des plus sévères représailles. Toutefois, en décidant de demander l’autorisation du Congrès pour déclencher l’opération alors que le droit américain ne l’exigeait pas, il a su profiter des vacances parlementaires pour jouer la montre et trouver une porte de sortie honorable au piège qu’il s’était lui-même tendu.

La main secourable est venue des diplomates russes qui ont conçu, avec l’équipe du secrétaire d’État américain John Kerry, le plan de destruction de l’arsenal chimique syrien. Pour la Maison Blanche, cette option était un moyen de ne pas laisser l’utilisation d’armes chimiques impunie tout en évitant une intervention militaire tandis que la Russie faisait coup double : d’une part, elle sauvait son principal allié au Moyen-Orient – la marine russe possède une base au port de Tartous – et d’autre part, elle s’offrait l’occasion de paraître, à quelques mois des jeux olympiques de Sotchi, comme une force de proposition constructive et pacifique devant une crise internationale.

La focalisation sur les armes chimiques a de plus permis de détourner l’attention de la guerre civile qui déchire toujours la Syrie depuis 2011 et qui a coûté la vie à près de deux cent mille personnes. La question de ces armes reste elle-même ouverte puisque malgré la mission conduite conjointement par les Nations Unies et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et officiellement parvenue à son terme il y a deux semaines, on continue à observer sur le terrain des attaques au chlore. La nouvelle est d’autant plus inquiétante qu’une partie des stocks serait tombée entre les mains de l’État islamique, dont la spectaculaire percée des derniers mois résulte dans une large mesure de la passivité des États-Unis et de l’Union européenne face au conflit syrien.

Quelle signification cet exemple revêt-il pour l’Ukraine ? Depuis l’adoption en septembre par l’Ukraine, la Russie et les séparatistes du Donbass des accords de Minsk, la région semble perdre en importance dans la liste des priorités politiques du camp occidental. Il est vrai que la Russie, sans encore satisfaire à ce jour l’ensemble des engagements contenus dans le protocole, envoie des signaux positifs en retirant ses forces du territoire ukrainien et des abords de la frontière. Elle exprime également sa volonté de restaurer ses liens de coopération avec l’UE et les États-Unis.

Retrait des forces russes

C’est ainsi que John Kerry et son homologue russe, Sergueï Lavrov, se sont rencontrés en début de semaine à Paris et ont négocié un accord de partage des informations recueillies par leurs services de renseignement respectifs afin de lutter plus efficacement contre l’État islamique. Par ailleurs, le président Vladimir Poutine a été invité en marge du sommet UE-Asie (ASEM) pour poursuivre le dialogue avec son homologue ukrainien Petro Perochenko en présence d’autres dirigeants européens. Le Kremlin chercherait à mettre en avant le retrait de ses troupes pour obtenir un allègement des sanctions à son encontre.

Toutefois, ce geste de bonne volonté ne devrait pas conduire à réduire immédiatement la pression sur la Russie. Comme l’indique le dernier communiqué commun des ministres des Affaires étrangères du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) et de l’UE, les accords de Minsk des 5 et du 19 septembre représentent « un pas important » mais n’apportent pas à eux seuls une réponse complète à la question ukrainienne. Ils concernent en effet uniquement le Donbass alors que la défense de « la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues », position adoptée par les États membres de l’OTAN lors du sommet de Newport au début du mois de septembre, couvre aussi la Crimée. Son annexion par la Russie demeure sous la condamnation de l’OTAN et n’est pas reconnue par l’immense majorité des États membres des Nations Unies.

La déclaration commune de la commission OTAN-Ukraine appelle également la Russie à « respecter les droits de la population locale, y compris ceux des Tatars originaires de Crimée ». Or, moins de deux semaines après le sommet, en réaction au boycott par cette minorité des élections organisées par le nouveau gouvernement de la région, le siège de leur organe représentatif, le Mejlis, a fait l’objet d’un raid des forces spéciales russes. Sergueï Aksionov, « premier ministre de la République autonome de Crimée », va jusqu’à nier l’existence de cette institution garante des droits de la minorité tatare. Pour ceux qui s’obstineraient à ne pas adopter la citoyenneté russe, le risque est donc réel d’être privé des droits civiques, voire d’être expulsé de la région, en violation flagrante des plus élémentaires « droits de la population locale ».

Deux pas en avant, un pas en arrière

Bien que les canaux de communication avec la Russie doivent demeurer ouverts, l’UE et les États-Unis ne peuvent pas se satisfaire de l’application des accords de Minsk pour considérer l’affaire ukrainienne comme close et normaliser leurs relations avec le Kremlin. Un pas en arrière ne revient pas sur deux pas en avant et une telle faiblesse du côté occidental créérait un dangereux antécédent qui renforcerait encore davantage le sentiment d’impunité des États ne respectant pas l’ordre international. L’exemple syrien montre précisément que la voie de la facilité n’offre qu’une solution de court terme qui aggrave à plus longue échéance le problème et encourage d’autres acteurs à chercher à remettre en cause les règles du jeu en vigueur.

Sans nécessairement agiter la menace de nouvelles sanctions avec effet immédiat, les pays de l’UE doivent montrer qu’ils n’ont pas encore épuisé leur panoplie d’outils de pression et laisser entendre lesquels ils sont disposés à employer si la situation venait à s’embourber. Quelle crédibilité peuvent autrement avoir les dirigeants de l’Union à évoquer un renforcement des sanctions quand le niveau 3, c’est-à-dire le plus élevé, a déjà été actionné ?

Se satisfaire du statu quo actuel et d’une Ukraine perpétuellement instable, c’est en revanche prendre le risque d’entraver le processus de modernisation du pays, avec des conséquences potentiellement dommageables pour l’UE en termes de flux illicites (criminalité organisée, migration) et de rupture des approvisionnements en énergie. Or, dans la géographie de l’espace Schengen, la France et l’Ukraine ont une frontière commune.