Florence Cassez au centre d’une « affaire d’État »
Revue de la presse française du 12 au 18 février 2011
L’actualité française de cette semaine a une nouvelle fois été très riche même si la plupart des thèmes abordés avaient déjà été défrichés précédemment. On ne s’arrêtera donc pas sur la représentativité de Dominique Strauss-Kahn du monde rural, ni sur l’embarras du ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie devant les révélations du Canard enchaîné à propos de ses liens avec des hommes d’affaires proches de l’ancien président tunisien Ben Ali. Les journaux ont en effet choisi de consacrer leurs titres les plus spectaculaires à un enjeu pourtant assez mineur à première vue : la détention de Florence Cassez au Mexique.
La ressortissante française y est emprisonnée depuis plus de cinq ans après une condamnation pour enlèvements, association de malfaiteurs et possession illégale d’armes. Elle a cependant toujours nié les faits qui lui étaient reprochés et avait au moment de son interpellation déclaré ignorer les activités de son ex-compagnon Israel Vallarta, chef d’une bande qui vivait du juteux commerce des enlèvements dans le pays. Sur le plan procédural, il est indéniable que l’affaire Cassez comporte des faiblesses importantes dont en particulier l’organisation d’une seconde arrestation à des fins purement médiatiques.
Compte tenu de ces éléments, Florence Cassez et son entourage espéraient dans un premier temps que la voie judiciaire suffirait à faire la lumière sur son dossier et déboucherait sur sa libération. Or, l’interjection d’appel n’avait permis en mars 2009 que de réduire la peine de prison de quatre-vingt-seize à soixante ans. Le pourvoi en cassation a quant à lui été rejeté le jeudi 10 février par la Cour fédérale : c’est l’événement qui a ramené l’affaire sur le devant de la scène.
La diplomatie française, qui la suivait déjà de près, a immédiatement réagi et tenté de faire pression pour obtenir le transfèrement de la détenue vers la France, où elle bénéficiera de meilleures conditions d’emprisonnement et sera plus proche de sa famille. Michèle Alliot-Marie a ainsi déclaré que la décision « était un déni de justice » et qu’« [elle] allait peser dans nos relations bilatérales » alors que les autorités françaises venaient de lancer une semaine plus tôt l’année du Mexique.
En plus du quai d’Orsay, l’Élysée s’est aussi mobilisée dans l’affaire. Il faut dire que le président Nicolas Sarkozy avait rencontré les parents de Florence Cassez à plusieurs reprises et qu’il avait bon espoir de voir la détenue ramenée en France après ses multiples intercessions auprès de son homologue mexicain Felipe Calderón. Désormais, deux voies de droit restent ouvertes. La première demeure du domaine privé et consiste en un recours devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme tandis que la seconde implique la participation de l’État français dans un litige qui sera alors tranché par la Cour internationale de justice de La Haye.
Vers un boycott des manifestations de l’année du Mexique en France
Aucune n’est cependant susceptible d’améliorer à court terme le sort de Florence Cassez. Le chef de l’État a donc mis sur la table des arguments plus politiques comme l’évocation de l’affaire à chaque événement de l’année du Mexique en France. Le ministre des Affaires étrangères a de son côté annoncé qu’elle ne participerait pas aux festivités. L’opposition, en la personne de Martine Aubry, a également appelé les collectivités territoriales à boycotter les manifestations. Il est vrai que comme souvent en France, les questions de politique internationale tendent à transcender les clivages partisans. Plusieurs élus d’orientations diverses redoutent néanmoins que le langage trop musclé des porte-parole français ne déclenche une crise diplomatique.
À défaut donc de faire réviser le jugement de Florence Cassez, le gouvernement mise sur son transfèrement vers la France, une possibilité qui trouve son fondement juridique dans une convention internationale que le Mexique a ratifiée. Toutefois, avant même que la demande n’ait été officiellement formulée, les autorités mexicaines ont déclaré qu’elles ne l’admettraient pas en raison des différences entre les droits des deux États. Le Code pénal français ne connaît pas en effet de peine aussi longue à l’exception de la réclusion criminelle à perpétuité, par conséquent il est probable que si Florence Cassez devait purger sa condamnation en France, elle passerait moins de temps derrière les barreaux.
On peut s’étonner de l’obstination du Mexique à vouloir punir Florence Cassez d’un châtiment exemplaire au risque de mettre en danger ses relations diplomatiques avec la France. D’après les quelques informations glanées par les journalistes auprès de « sources autorisées », l’explication se trouverait avant tout dans la lutte effrenée du gouvernement mexicain actuel contre le fléau des enlèvements. Genaro García Luna, aujourd’hui ministre de la Sécurité publique mais directeur de l’Agence fédérale d’investigation au moment de l’arrestation de madame Cassez, jouerait sur l’affaire sa crédibilité et s’en servirait pour détourner l’attention de liens supposés avec des organisations criminelles.
Des conséquences économiques limitées mais des risques pour les négociations du G20
L’opinion publique semble également pencher en faveur de l’intransigeance, d’autant qu’elle perçoit l’attitude de la France comme une remise en cause des principes d’indépendance de la justice et de non-ingérence. Ceci blesse la fierté nationale des Mexicains qui sont nombreux à parler de « provocation ». Ils ne sont cependant pas unanimes puisque la puissante Église catholique et l’ancien procureur général fédéral Ignacio Morales Lechuga ont plutôt pris le parti de la ressortissante française en raison des vices de procédure qui ont entaché son procès.
Avec le départ brusque de l’ambassadeur du Mexique en France qui était mercredi 16 février présent au Sénat lorsque Michèle Alliot-Marie a évoqué le cas de Florence Cassez, l’affaire s’est envenimée au point de créer un incident diplomatique, de sorte que le terme d’« affaire d’État », utilisé par le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand et repris dans le Parisien et le Figaro, n’est sans doute pas exagéré. Les entreprises françaises redoutent déjà le boycott de leurs produits par les Mexicains et une diminution des investissements dans les deux sens. Néanmoins, les relations économiques et commerciales entre les deux pays sont relativement faibles et les répercussions devraient donc être limitées. En revanche, la présidence française du G20, dont le Mexique est membre et co-dirige le groupe de travail sur la réforme du système monétaire, pourrait voir sa tâche compliquée par un accroissement des tensions politiques.
En bref depuis la semaine dernière : les magistrats épargnés, un haut fonctionnaire sanctionné
La publication du rapport de l’Inspection générale des services judiciaires lundi 14 février est venue apaiser la fronde des magistrats cette semaine puisqu’aucune faute n’a été retenue à leur encontre. Le ministre de la Justice Michel Mercier a par ailleurs débloqué cinq millions d’euros pour recruter des vacataires et du personnel retraité afin de soulager les tribunaux les plus débordés. Cependant, les syndicats de la magistrature estiment que la question des moyens n’a toujours pas trouvé de réponse satisfaisante et appellent donc à poursuivre le mouvement de protestation « sous d’autres formes ».
L’affaire Laëtitia aura néanmoins fait au moins une victime collatérale en la personne de Claude-Yvan Laurens, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes. Âgé de 57 ans, le haut fonctionnaire est accusé d’avoir « manqué de réactivité » et sera déplacé « dans l’intérêt du service » — une forme de sanction exceptionnelle dans l’administration — à l’Inspection des services pénitentiaires. Ironie du sort, c’est précisément cet organe qui a mis en lumière les carences du bureau nantais tout en reconnaissant un manque criant de moyens. Le Syndicat national des directeurs pénitentiaires considère pour sa part que le directeur a servi de « bouc émissaire ».