État de droit, réfugiés : des contentieux qui priveront la Pologne de fonds européens ?
La pression s’accroît sur Varsovie, en conflit avec la Commission européenne et certains États membres. Ils s’inquiètent des atteintes portées aux règles de l’État de droit et s’agacent de la solidarité à sens unique exprimée par la Pologne : oui aux fonds européens, mais non aux réfugiés.
« La Pologne de nouveau au pilori de Bruxelles », titre Dziennik Gazeta Prawna à la suite de la publication par la Commission européenne du Rapport 2016 sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. L’affaire du Tribunal constitutionnel polonais y figure en bonne place : « l’État de droit est, en particulier, une condition préalable à la protection des droits fondamentaux. […] Le fait que la légitimité, l’intégrité et le bon fonctionnement du Tribunal constitutionnel soient compromis empêche un contrôle effectif de la constitutionnalité. Remédier à cette situation relève de l’intérêt commun. Le fonctionnement même de l’Union est menacé si l’État de droit n’est plus respecté dans l’un de ses États membres. »
Ce nouveau pavé dans la mare de la Pologne a été jeté quelques jours avant la venue à Varsovie du commissaire européen Frans Timmermans, « ami de la Pologne et héraut de la démocratie polonaise » élu homme de l’année par le plus grand quotidien d’opposition Gazeta Wyborcza. Dans un entretien accordé pour l’occasion, il a expliqué « mener un dialogue avec la Pologne à propos du Tribunal constitutionnel depuis plus d’un an ». Bien que celui-ci soit jusqu’à présent demeuré infructueux, le commissaire est « prêt à aller plus loin » et s’est félicité du soutien de l’ONU, d’éminents constitutionnalistes de la commission de Venise et de hautes juridictions européennes ainsi que d’une « majorité nette » d’États membres de l’UE qui, à la mi-mai, ont pour la première fois débattu en Conseil des ministres de la situation de l’État de droit en Pologne.
Frans Timmermans a également rappelé les griefs qui justifient selon lui la procédure de sauvegarde de l’État de droit ouverte par la Commission : « En Pologne, les représentants du gouvernement me disent : “Nous avons gagné les élections, nous pouvons décider du mode de fonctionnement de la justice.” Cela ne marche pas comme ça […]. Des élections démocratiques, même si elles confèrent une majorité parlementaire, ne donnent jamais le droit de violer la Constitution. Or, il ressort de nos analyses que la procédure d’élection de la présidente du Tribunal constitutionnel, la façon dont ont été désignés certains juges et la non-publication de jugements du Tribunal sont contraires à la Constitution polonaise. »
Le portail proche du gouvernement wPolityce.pl rapporte pour sa part la réponse du secrétaire d’État aux affaires européennes Konrad Szymański, qui maintient qu’« entre la Pologne et la Commission européenne, il n’y a pas de conflit sur le respect des valeurs, mais sur les interprétations liées au mode de fonctionnement du Tribunal constitutionnel. En la matière, la seule institution compétente est le Parlement polonais ». Si « le gouvernement est favorable à la poursuite du dialogue avec la Commission, il n’acceptera néanmoins jamais de diktat de sa part. »
Aussi bien la Commission que les autorités polonaises sont conscientes des faibles chances qu’aurait, à l’heure actuelle, la procédure de sauvegarde de l’État de droit de passer à l’étape supérieure, c’est-à-dire le déclenchement de sanctions. Ce mécanisme encore jamais utilisé jusqu’ici permettrait par exemple de suspendre les droits de vote de la Pologne au Conseil ou de geler les fonds européens dont son économie est très dépendante.
Comme l’écrit Rzeczpospolita, en dépit de « l’appel à la fermeté du nouveau président français » Emmanuel Macron, l’unanimité requise entre les États membres pour décider d’éventuelles sanctions se heurterait à une série d’oppositions, non seulement de la part du Hongrois Viktor Orbán, allié idéologique de Jarosław Kaczyński, mais aussi du côté de l’Allemagne qui « ne veut pas d’un retour aux années 2005-2007, lorsque les relations germano-polonaises étaient exécrables ».
La question de l’État de droit n’est pas toutefois le seul objet de contentieux entre la Commission et la Pologne. Dans un autre article, Rzeczpospolita rapporte que l’obstination du gouvernement à n’accueillir aucun demandeur d’asile dans le cadre du mécanisme européen de relocalisation, pourtant inscrit dans une décision adoptée en septembre 2015 et juridiquement contraignante, va pousser la Commission à « engager une procédure formelle d’infraction du droit européen. Celle-ci peut finir en procès devant la Cour de justice de l’UE, avec pour résultat une sanction financière contre la Pologne ».
À la différence de la procédure de sauvegarde de l’État de droit, l’action pour infraction ne nécessite pas l’accord politique des autres États membres. Néanmoins, elle est suffisamment complexe pour que d’éventuelles amendes ne deviennent effectives « que dans quatre ou cinq ans. [En revanche], dans l’intervalle, la Pologne n’évitera pas les conséquences très sérieuses d’un isolement politique et d’un désir de revanche [NDT : de ses partenaires] pour son manque de solidarité. […] Il s’avère en effet que les pays les plus irrités par la position de la Pologne dans le dossier des réfugiés sont également les plus grands contributeurs nets au budget européen, dont la Pologne est l’un des plus grands bénéficiaires. »
Selon un diplomate de Bruxelles interrogé par le quotidien, « on peut comprendre les raisons de politique intérieure, mais les autres pays en ont aussi. Par exemple, le Premier ministre suédois a dit clairement que la Pologne devait accueillir ne serait-ce qu’un nombre symbolique de réfugiés, autrement il ne pourra pas convaincre son opinion publique de financer la politique de cohésion ». Pour le journaliste, « si l’on rajoute à cela les critiques croissantes pour le non-respect de l’État de droit, on ne peut qu’être pessimiste pour le futur budget européen après 2020 ». Comme si c’était, pour Varsovie, la seule raison de s’inquiéter du fossé d’incompréhension et de défiance qui se creuse entre la Pologne et le reste de l’UE.