Vu de Pologne. Décès de l’ancien Premier ministre Tadeusz Mazowiecki
Revue de la presse polonaise du 26 octobre au 1er novembre 2013
Celui qui restera dans l’Histoire comme le premier chef de gouvernement de la Pologne libre, M. Tadeusz Mazowiecki, s’est éteint le 28 octobre 2013 à l’âge de 86 ans. La presse comme le personnel politique ont rendu un hommage presqu’unanime à l’une des figures de proue du syndicat Solidarité, dont le rayonnement dans les années 1980 a dépassé de très loin les frontières polonaises et a contribué dans une large mesure à l’effondrement des régimes communistes dans l’Europe de l’est. Le président de la République M. Bronisław Komorowski a de son côté décrété une journée de deuil national et des funérailles d’État pour son ancien mentor.
Si Tadeusz Mazowiecki jouit d’un tel respect dans l’opinion polonaise, ce n’est pas seulement pour avoir exercé les responsabilités de Premier ministre à une époque charnière. Son engagement intellectuel et politique aux côtés du Club de l’intelligentsia catholique KIK, de la revue Wiȩż et du groupe Znak a forgé sa réputation d’homme de réflexion et de haute stature morale mais dans le même temps capable de compromis et ouvert au dialogue, y compris avec un régime qui l’a fait enfermer de long mois au moment de l’état de guerre.
Ce sont ces qualités qui ont facilité l’organisation de la Table ronde entre le pouvoir communiste et l’opposition puis la transition pacifique vers un système démocratique et une économie de marché. Après avoir été, en tant que conseiller du chef charismatique de Solidarité Lech Wałȩsa, l’un des architectes de ce modèle, il a dû le mettre en oeuvre au cours de ses quelque 500 jours à la tête du premier gouvernement non communiste en Pologne depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Malgré un contexte national difficile et un environnement international mouvant, il a appuyé la « thérapie de choc » économique pilotée par son ministre des Finances M. Leszek Balcerowicz pour mettre fin à l’hyperinflation et rééquilibrer les comptes de la Nation. Il a également supervisé l’organisation des élections présidentielles et locales, premiers scrutins véritablement libres en Pologne depuis 1945. Enfin, en obtenant des puissances occupantes de l’Allemagne (États-Unis, France, Royaume-Uni, Union soviétique) la participation de la Pologne à certains travaux de la conférence 2+4, il a levé une hypothèque qui a pesé pendant un demi-siècle sur la politique étrangère du pays : la question de l’intangibilité de la frontière occidentale le long de la ligne Oder-Neisse.
Par la suite, il n’a plus occupé de fonction gouvernementale. En revanche, sa mission d’observateur des Nations Unies dans les Balkans, à une période où la Yougoslavie tombait en morceaux et se déchirait en conflits ethniques, a conforté à l’étranger son image d’homme de principe puisque devant la passivité de la communauté internationale au massacre de Srebrenica, il a préféré démissionner.
La seule ombre au tableau de ce portrait vise la politique de la « ligne épaisse », expression détournée par une partie de l’opposition pour désigner l’amnésie volontaire dans laquelle s’est plongé le nouveau régime comme prix de la sortie sans heurt du système communiste. Une critique toujours d’actualité, dans la mesure où de nombreux Polonais continuent d’avoir le sentiment que certains crimes d’État commis avant 1989 n’ont pas été reconnus et que leurs auteurs ou commanditaires demeurent impunis.
Articles phares :
- Agnieszka Kublik, « Mazowiecki nie myślał o polityce w kategorii zwycięstwa » (entretien avec Aleksander Smolar, ancien conseiller du Premier ministre Tadeusz Mazowiecki et président de la fondation Étienne Batory), Gazeta Wyborcza, 29 octobre 2013 ;
- Paweł Wroński, « To był człowiek katolickiej lewicy. Polityczne losy Tadeusza Mazowieckiego » (entretien avec Andrzej Friszke, historien), Gazeta Wyborcza, 29 octobre 2013 ;
- Aleksander Hall, « Pragnął służyć Rzeczypospolitej », Rzeczpospolita, 29 octobre 2013 ;
- Eliza Olczyk, « Po prostu dobry człowiek », Rzeczpospolita, 29 octobre 2013.