Campagne présidentielle : le chef de l’État riposte mais ne se déclare pas

Revue de la presse française du 28 janvier au 3 février 2012

À l’issue d’un mois de janvier essentiellement rythmé par les étapes successives de l’entrée en campagne de François Hollande (voir nos Lettres n°48 et 51), la droite attendait un geste fort de la part de son champion Nicolas Sarkozy pour tenter de reprendre l’initiative et éloigner le spectre d’une défaite devenue de plus en plus probable ces dernières semaines. Si le président de la République s’est résolu à ne pas avancer la date de sa déclaration officielle, il a cependant réussi à reprendre la main sur l’agenda politique grâce à son intervention télévisée du dimanche 29 janvier.

De fait, celui qui s’est exprimé « en tant que chef de l’État » n’a pas lésiné sur les moyens pour s’assurer l’attention la plus large des Français : pas moins de huit chaînes de télévision étaient mobilisées dont les plus regardées en début de soirée, TF1 et France 2. Le résultat a été à la hauteur de ce dispositif exceptionnel puisque plus de 16,5 millions de téléspectateurs auraient été au rendez-vous malgré la relative « technicité » des échanges avec les journalistes.

Le presque candidat a confirmé au cours de cet entretien vouloir faire adopter rapidement une série de mesures qui avaient déjà été éventées à des degrés divers pendant le mois. L’annonce phare a porté sur la TVA dite « sociale », qui consiste à transférer du travail vers la consommation une partie du financement de la protection sociale. En d’autres termes, les cotisations patronales à la Sécurité sociale devraient être allégées en contrepartie d’une hausse de 1,6% du taux de TVA actuellement à 19,6% — les produits de première nécessité et les autres qui bénéficient de taux réduits ne seront donc pas concernés.

Une hausse de la TVA aux effets incertains sur les prix

L’objectif de ce basculement est de redresser la compétitivité de l’économie française qui, selon certains experts, se serait dégradée durant la décennie précédente à cause d’un coût du travail en augmentation rapide quand, dans le même temps, celui de l’Allemagne demeurait stable. Le « modèle » allemand conjuguant politique de modération salariale, flexibilisation du marché du travail et TVA sociale a été plus d’une fois cité par Nicolas Sarkozy alors même que précisément, rapport de l’Organisation international du travail à l’appui, une aile plus progressive d’économistes dénonçait la « dévaluation compétitive » et l’attitude anti-coopérative de Berlin.

Bien que le président ait écarté les risques de montée des prix au motif que la diminution des coûts de production compensera le relèvement de la TVA, il a jugé bon d’assortir cette réforme de mesures plus faciles à digérer pour l’opinion publique. La taxe sur les transactions financières annoncée à l’occasion des vœux du Nouvel An devrait ainsi voir le jour, tout comme une augmentation du taux de la contribution sociale généralisée (CSG) applicable aux revenus du capital.

Faute de pouvoir dans un contexte de rigueur budgétaire améliorer le pouvoir d’achat des Français — un de ses leitmotiv de campagne en 2007 — par le front des salaires ou de la fiscalité, Nicolas Sarkozy tente de jouer sur le levier des coûts, en particulier ceux du logement. Toutefois, plutôt que recourir à la contrainte comme le fait François Hollande en proposant un encadrement des loyers, le presque candidat de l’UMP mise sur une politique d’accroissement de l’offre avec une densification des fonciers existants et la cession de terrains non utilisés dont l’État ou des entreprises publiques sont propriétaires. Autant de mesures qui présentent l’avantage d’être peu coûteuses et de ne pas faire trop de mécontents mais dont l’effet potentiel est observé avec scepticisme par les professionnels de l’immobilier.

Le « modèle » allemand décidément à l’honneur

Enfin, les fameuses trente-cinq heures devraient perdre encore davantage de leur substance en raison de la possibilité prochaine pour les entreprises de passer des « contrats de compétitivité-emploi ». Ces accords, conclus entre partenaires sociaux au niveau de l’entreprise, permettraient d’ajuster plus facilement temps de travail et salaire en fonction du carnet de commandes. En échange, les salariés bénéficieraient de garanties d’emploi. L’idée n’est pas en tant que telle nouvelle mais requerrait jusqu’à maintenant l’assentiment du travailleur. Donner à ces accords d’entreprise une valeur supérieure aux conventions collectives et au Code du travail reviendrait à contourner cet obstacle puisqu’ils s’imposeraient dès lors aux contrats de travail individuels.

Sur ce point aussi, Nicolas Sarkozy s’inspire visiblement de la culture outre-rhénane, où le dialogue social occupe une place plus importante que la norme législative. Les accords négociés à l’échelle de la branche ou de l’entreprise ont notamment permis d’amortir le choc de la crise en utilisant comme variable d’ajustement les salaires ou le temps de travail plutôt que l’emploi, différence qui explique la hausse relativement modérée du chômage en Allemagne au zénith de la crise alors que la récession y a été plus violente qu’en France.

L’éloge de l’Allemagne vaut au presque candidat le soutien de la chancelière Angela Merkel et de son parti chrétien-démocrate. Malgré des caractères diamétralement opposés qui avaient au début du mandat de Nicolas Sarkozy fragilisé la relation franco-allemande, la crise a ressoudé le couple moteur de la construction européenne et a fait des dirigeants des deux pays des alliés politiques objectifs. François Hollande a en effet laissé entendre qu’il pourrait, s’il accédait à la magistrature suprême, remettre en question le pacte budgétaire en raison de sa focalisation excessive sur l’austérité. Or, Angela Merkel joue sa crédibilité auprès de l’opinion publique nationale sur sa capacité à obtenir de la part des États européens des garanties fortes pour chaque euro du contribuable destiné au « sauvetage » de la monnaie unique.

Si la rigueur n’est pas toujours aussi bien acceptée en France, la chancelière n’y jouit pas moins d’une réputation de sérieux et d’une certaine admiration. Il est plus difficile en revanche de déterminer si son appui à la réélection de Nicolas Sarkozy pèsera ou non dans la balance. La perte du vote populaire, probablement irréversible, compromet fortement les chances de succès du presque candidat. Pour autant, devant les caméras dimanche comme devant les parlementaires de la majorité mardi, il a semblé ne pas perdre espoir et s’est engagé à « ne pas se dérober » pour son « rendez-vous avec les Français ». Les voilà avertis.

Articles phares :
- Le Figaro, Merkel soutiendra la campagne de Sarkozy, Sébastien Vannier, 30 janvier 2012 ;
- Le Figaro, Président jusqu’au bout, Nicolas Sarkozy lance de nouvelles réformes, Charles Jaigu, 30 janvier 2012 ;
- Le Monde, Nicolas Sarkozy se pose en réformateur intrépide, Arnaud Leparmentier et Vanessa Schneider, 31 janvier 2012 ;
- Le Monde, « Vous me demandez si en cinq ans j’ai tout réussi. Je suis lucide : non », Samuel Laurent, 31 janvier 2012 ;
- Le Monde, Angela Merkel met en garde le futur président français, Philippe Ricard, 1er février 2012 ;
- Le Monde, À l’Elysée, le chef de l’Etat tente de remobiliser une majorité saisie par le doute, Patrick Roger, 2 février 2012 ;
- Le Monde, Un électorat replié sur le noyau de la droite, Thomas Wieder, 3 février 2012 ;
- Libération, Sarkozy tente de faire bonne mesure, Luc Peillon, 30 janvier 2012 ;
- Libération, Un électorat qu’on n’y reprendra pas, Christophe Forcari, 31 janvier 2012.