Vu de Pologne. Visite éclair du secrétaire d’État américain John Kerry

Revue de la presse polonaise du 2 au 8 novembre 2013

Compte tenu des sentiments atlantistes de nombreux Polonais, renforcés par des liens familiaux avec une importante diaspora établie outre-Atlantique, le rapide passage en Pologne du secrétaire d’État américain John Kerry mardi 5 novembre a été attentivement suivi. Le programme de la visite a d’autant plus attiré l’attention qu’il est resté jusqu’à la dernière minute assez vague et que la venue du chef de la diplomatie américaine constituait la seule escale européenne d’une tournée avant tout consacrée au Moyen-Orient.

Par ailleurs, la visite s’est déroulée dans un contexte de tension entre les États-Unis et plusieurs pays européens, victimes d’espionnage et d’écoutes massives conduites à l’initiative de la NSA, l’une des principales agences de renseignement américaines. Les informations d’Edward Snowden, reprises dans de grands titres de la presse européenne comme Der Spiegel ou le Monde, indiquent que la Pologne ne fait pas exception à la règle et qu’en moyenne, 5 millions de conversations y sont chaque mois interceptées.

Le gouvernement polonais ne semble cependant pas en faire grand cas. Alors que la chancelière allemande Angela Merkel a soulevé la possibilité de conditionner la signature du grand Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) à un engagement américain de non espionnage entre alliés, le ministre polonais des Affaires étrangères Radosław Sikorski s’est désolidarisé de cette position en conférence de presse. Il s’est justifié par la nature communautaire des questions commerciales alors que le renseignement relève de la compétence nationale. En conséquence, les deux points ne sauraient être liés. À la demande d’un journaliste à propos de la mise sur écoute de dirigeants polonais, ni le ministre polonais, ni son homologue américain n’ont apporté de réponse.

John Kerry a donc pu se féliciter du soutien de la Pologne au projet de TTIP et de son silence bienveillant dans le scandale des écoutes. L’agenda de la visite semble de fait s’être concentré sur les aspects de défense, en particulier l’installation d’éléments du bouclier antimissile sur le territoire polonais et l’éventuelle participation d’entreprises américaines au grand programme de modernisation des forces armées, estimé à plus de 30 milliards d’euros.

Un atlantisme rarement récompensé

Malgré le dégel des relations entre les États-Unis et l’Iran – raison d’être du bouclier antimissile –, le secrétaire d’État américain a en effet confirmé l’engagement de Washington de poursuivre le déploiement du système jusqu’en 2018. Le sujet est sensible pour les autorités polonaises qui y voient, plus qu’un outil réel de protection contre des menaces balistiques, un moyen de retenir les forces américaines sur le continent européen et de conserver les garanties de sécurité attenantes.

Plusieurs commentateurs politiques ont fait part de leur scepticisme sur cette « fidélité absolue » de la Pologne envers les États-Unis. À la lumière d’exemples précédents – guerre d’Irak en 2003, choix quelques mois plus tôt des avions F-16 américains au détriment d’appareils européens –, ils remarquent que les Polonais ont été doublement perdants car ils se sont aliénés leurs principaux alliés en Europe sans obtenir de récompense de la part de Washington. L’une des preuves en serait que la promesse de lever l’obligation de visa pour les citoyens polonais désireux de se rendre aux États-Unis n’a toujours pas été tenue.

Jędrzej Bielecki invite donc les dirigeants polonais à ne pas vouloir être « plus papistes que le pape » et à « trouver le bon équilibre dans les relations entre la Pologne, [Washington et Bruxelles] ». Il affirme que « les Américains ne se fâcheront pas et n’arrêteront pas la construction de la base antimissile dans notre pays si nous coordonnons notre politique étrangère avec nos partenaires européens ». Et de citer l’Allemagne et la France qui savent, quand il le faut, exprimer leurs désaccords avec les États-Unis sans cesser d’être parmi leurs plus proches alliés.

Articles phares :
- Mariusz Zawadzki, « 2 mln pytań do Johna Kerry’ego », Gazeta Wyborcza, 4 novembre 2013 ;
- Jędrzej Bielecki, « Gwarancje wyryte w kamieniu », Rzeczpospolita, 5 novembre 2013 ;
- Paweł Wroński, « Odszkodowanie od Boeinga, zniesienie wiz... Czego Kerry i Sikorski nie powiedzieli dziennikarzom? », Gazeta Wyborcza, 6 novembre 2013 ;
- Jędrzej Bielecki, « Polska staje po stronie Ameryki », Rzeczpospolita, 6 novembre 2013 ;
- Jędrzej Bielecki, « Bardziej papiescy od papieża », Rzeczpospolita, 8 novembre 2013.