Vu de Pologne. Vague de libération de prisonniers politiques en Russie avant les Jeux de Sotchi

Revue de la presse polonaise du 21 au 27 décembre 2013

En l’espace de quelques jours, les autorités russes ont procédé à la libération de plusieurs personnes dont l’arrestation avait ému l’opinion publique internationale : activistes de Greenpeace accusés de piraterie pour avoir tenté d’aborder une plateforme pétrolière et alerter des dangers des forages en mer Arctique ; chanteuses du groupe « Pussy Riot » inculpées pour blasphème suite à des propos tenus contre le président Vladimir Poutine dans une église et enfin Mikhaïl Khodorkovski, ex-magnat du pétrole enfermé pendant dix ans dans une colonie pénitentiaire après une condamnation pour escroquerie et fraude fiscale.

C’est surtout ce dernier cas qui a retenu l’attention des journalistes polonais tant il est devenu emblématique du « système Poutine » et de la mise au pas des oligarques par le Kremlin. En effet, bien que Mikhaïl Khodorkovski ait été envoyé en prison pour des délits financiers, la plupart des spécialistes de la Russie s’accordent à dire que ce sont les ambitions politiques de l’ancien président du groupe pétrolier Ioukos qui lui aurait valu le bagne en Sibérie. Il aurait dans le même temps servi d’exemple pour les autres oligarques ayant fait fortune dans les années 1990, sous la présidence de Boris Eltsine, dans des conditions souvent peu claires. C’est pourquoi nombre d’entre eux ont choisi l’exil, notamment au Royaume-Uni.

Officiellement, Vladimir Poutine a gracié Mikhaïl Khodorkovski pour des « raisons humanitaires » car sa mère est gravement malade. Pour autant, il n’a pas été innocenté par la justice russe. Après l’annonce de sa libération, Mikhaïl Khodorkovski a été transporté à Berlin dont le gouvernement aurait joué un rôle important dans la décision du président russe. L’ironie du sort a voulu que cette date du 20 décembre soit aussi le Jour des Tchékistes, c’est-à-dire la fête des services secrets dont est issu Vladimir Poutine lui-même.

Quel avenir pour Mikhaïl Khodorkovski ?

Devant un parterre de micros de toute la presse internationale, Mikhaïl Khodorkovski a dévoilé ses plans pour l’avenir. D’un point de vue politique, il reste frappé d’inéligibilité pour encore vingt-cinq ans. Son entreprise Ioukos a été démantelée et reprise pour l’essentiel par la société d’État Rosneft, aux mains d’un proche du Kremlin. Mikhaïl Khodorkovski a de toute façon expliqué qu’il n’avait pas l’intention de « se battre pour le pouvoir en Russie » ni de revenir aux affaires, dans la mesure où sa « situation financière ne l’oblige[ait] pas à gagner sa vie ». Il n’envisage pas non plus de soutenir l’opposition. En revanche, il a invité les dirigeants occidentaux à « se rappeler qu’il y avait encore en Russie de nombreux prisonniers politiques ». Quelques jours plus tard, le ministère suisse des Affaires étrangères informait avoir reçu de M. Khodorkovski une demande de visa, signe que l’ancien prisonnier souhaite peut-être s’y retirer paisiblement et ne plus se mêler des affaires publiques.

Le rédacteur Wacław Radziwinowicz du quotidien Gazeta Wyborcza estime cependant ce scenario peu crédible. Selon lui, Mikhaïl Khodorkovski « a une grande dette morale tant envers les dirigeants que vis-à-vis des États occidentaux parce qu’ils ne l’ont pas oublié et ont constamment pendant dix ans exigé sa libération ». Le journaliste rappelle également que plusieurs associés du temps de Ioukos croupissent toujours en prison. Il espère donc que l’ex-PDG s’engagera, même à distance, en faveur du renforcement de la société civile russe, comme il le faisait avant son arrestation par le biais de la fondation Russie ouverte. Rzeczpospolita observe néanmoins que ce ne sera pas chose aisée car une large part de la population russe est hostile aux oligarques, considérés commes des voleurs.

Un exercice de relations publiques

Pourquoi cette soudaine bienveillance des autorités russes après une longue période d’inflexibilité ? une majorité de commentateurs lie les bonnes grâces de Vladimir Poutine à l’ouverture dans quelques semaines des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, qui doivent marquer son triomphe. Adam Rotfeld, ancien ministre polonais des Affaires étrangères et fin connaisseur de la Russie, ajoute que cette apparente grandeur d’âme renforce l’impression que le chef de l’État tient fermement les rênes du pays et qu’il ne craint pas l’opposition. Celle-ci est dans le même temps privée d’un argument car comme le note Rzeczpospolita, la libération de Mikhaïl Khodorkovski constituait l’une de ses revendications.

Si lui-même semble a priori hors course pour faire de l’ombre à Vladimir Poutine, on ne peut pas en dire autant d’autres prisonniers relâchés. D’après Wacław Radziwinowicz, les Pussy Riot sont toujours « déterminées » et ont annoncé vouloir s’engager en faveur de « la défense des droits de l’Homme, en particulier ceux des prisonniers en camp de travail ou en détention provisoire ». Elles montreront ainsi aux Russes et au monde « ce qui se cache derrière le masque de la Russie à visage humain » que Vladimir Poutine cherchera à afficher à Sotchi.

Articles phares :
- Paweł Wroński, « Adam Rotfeld dla „Wyborczej”: Ukraina, Chodorkowski i wielkoduszność Putina » (entretien avec Adam Rotfeld, ancien ministre polonais des Affaires étrangères), Gazeta Wyborcza, 21 décembre 2013 ;
- Piotr Jendroszczyk, « Chodorkowski wolny », Rzeczpospolita, 21 décembre 2013 ;
- Wacław Radziwinowicz, « Chodorkowski nie będzie milczał i od polityki nie ucieknie », Gazeta Wyborcza, 23 décembre 2013 ;
- Jędrzej Bielecki, « Chodorkowski kończy grę », Rzeczpospolita, 23 décembre 2013 ;
- Wacław Radziwinowicz, « „Puśki” zuchy. Co się kryje za maską ludzkiej twarzy Rosji? », Gazeta Wyborcza, 24 décembre 2013.