Vu de Pologne. « Shutdown » de l’État fédéral américain

Revue de la presse polonaise du 28 septembre au 4 octobre 2013

Aucun événement n’a cette semaine occupé une place prépondérante en Une des media polonais mais le ton inhabituellement critique des commentateurs politiques à l’égard des États-Unis victimes depuis mardi du shutdown du gouvernement fédéral retient l’attention. « Goujaterie et crétinisme politique » pour Gazeta Wyborcza, « gouvernements de clowns » selon Rzeczpospolita : malgré leurs différences de sensibilité, les deux grands quotidiens polonais ne masquent pas leur exaspération devant une « crise des finances publiques américains [pouvant] entraîner une nouvelle crise mondiale ».

La cause de la paralysie partielle de l’État fédéral est à rechercher dans l’Affordable Care Act, aussi surnommé « Obamacare », que le Congrès américain a adopté en 2010. Cette loi qui concrétise une promesse de campagne de Barack Obama a pour objectif de fournir une assurance médicale aux quelque cinquante millions d’Américains jusqu’ici non couverts, soit que leurs revenus sont trop faibles pour la souscription d’une assurance privée – entre 500 et 1 000 dollars mensuels –, soit qu’ils dépassent le plafond fixé pour bénéficier du système public Medicaid. Parmi eux, plus d’un million sont contraints chaque année de se déclarer en faillite personnelle du fait de dépenses médicales imprévues qui engloutissent l’ensemble de leur patrimoine.

Contrairement à certains systèmes d’assurance de santé à l’européenne, l’Affordable Care Act ne crée pas un grand dispositif public et obligatoire pour la quasi-totalité de la population. En revanche, il étend le programme Medicaid à une plus large partie de la population et offre à ceux qui n’y sont pas éligibles des aides financières pour souscrire une assurance privée. En contrepartie, les individus qui s’obstineraient à ne pas vouloir contracter une couverture médicale paieraient un impôt supplémentaire.

Une loi en vigueur dont les élus Tea Party refusent l’application

Pour les élus républicains, en particulier ceux de la fraction Tea Party, ce dernier point constitue une atteinte inacceptable à la liberté de choix. Bien que la loi ait été votée, validée juridiquement par la Cour suprême et politiquement légitimée par la réélection de Barack Obama à la présidence en 2012, les parlementaires républicains les moins modérés s’entêtent à bloquer son application et ont décidé pour ce faire d’utiliser l’arme du budget fédéral.

Son adoption nécessite en effet l’accord des deux chambres du Congrès, c’est-à-dire la Chambre des représentants et le Sénat. Or, la première est dominée par les républicains tandis que le second est à majorité démocrate. Afin d’empêcher l’entrée en vigueur de l’Affordable Care Act, les élus républicains de la Chambre ont supprimé de leur version du budget les financements qui devaient couvrir les aides à la souscription d’une assurance privée. Ce projet diverge évidemment du projet approuvé par le Sénat et en conséquence, l’État fédéral se retrouve sans loi budgétaire et en partie paralysé.

L’impact du blocage n’est pas pour le moment catastrophique. Certes, plusieurs centaines de milliers d’agents de l’État fédéral ont été renvoyés chez eux en congé sans solde et les parcs et musées nationaux fermés au public mais compte tenu du caractère très décentralisé des États-Unis, la vie quotidienne de la plupart des Amércains ne pâtit pas trop de la situation. Les coûts financiers sont du reste relativement limités puisqu’ils varient selon les estimations de 300 millions à 1,5 milliard de dollars par jour – une somme modeste au regard de la taille de l’économie américaine. La dernière paralysie de l’État fédéral, qui remonte à 1995 et avait duré 21 jours, n’avait pas non plus entraîné de désastre.

D’un problème de politique intérieure à à une nouvelle crise économique mondiale ?

En revanche, l’incapacité des deux partis à trouver un compromis est de mauvais augure à l’approche d’une autre échéance peut-être plus importante pour les États-Unis : le 17 octobre, date à laquelle le plafond de la dette publique devrait être atteint. Ce montant, fixé par le Congrès pour limiter le pouvoir de la branche exécutive de l’État fédéral, fait depuis quelques années l’objet d’une prise en otage par les élus républicains les plus radicaux qui dénoncent la politique « socialiste » du président Barack Obama et le poids excessif de l’État fédéral.

Si le plafond venait à être atteint, le Trésor américain n’aurait plus le droit d’émettre de nouvelles obligations et ne pourrait donc plus refinancer la colossale dette publique du pays (16 000 milliards de dollars, soit environ 100% du PIB). De très profondes coupes budgétaires entreraient alors automatiquement en application tandis que la solvabilité des États-Unis serait jugée avec moins de clémence, déclenchant un possible renchérissement du coût des prêts consentis par les investisseurs internationaux. Le ralentissement économique qui pourrait en découler contaminerait sans doute rapidement le reste du monde du fait du rôle moteur joué par la consommation américaine.

Ce risque que redoutent les observateurs polonais est expliqué non sans un certain ton de schadenfreude. Il prouve en effet que même le pays le plus puissant du monde peut être empêtré dans des querelles picrocholines qui ne flattent pas le devoir de responsabilité du personnel politique. Une consolation vis-à-vis des propres difficultés intérieures de la Pologne ?

Articles phares :
- Mariusz Zawadzki, « Szantażują prezydenta », Gazeta Wyborcza, 28 septembre 2013 ;
- Mariusz Zawadzki, « Waszyngton tonie. W oparach absurdu », Gazeta Wyborcza, 30 septembre 2013 ;
- Jarosław Giziński, « Ostre starcie na Kapitolu », Rzeczpospolita, 30 septembre 2013 ;
- Mariusz Zawadzki, « Tak żyje Ameryka po odcięciu pieniędzy dla rządu », Gazeta Wyborcza, 2 octobre 2013 ;
- « Problemy USA nie takie straszne », Rzeczpospolita, 2 octobre 2013 ;
- Bartosz Węglarczyk, « Rządy klaunów na Kapitolu », Rzeczpospolita, 2 octobre 2013 ;
- Jędrzej Bielecki, « Amerykański system władzy przestaje działać », Rzeczpospolita, 2 octobre 2013 ;
- Witold Gadomski, « Budżetowa komedia pomyłek w USA », Gazeta Wyborcza, 2 octobre 2013.