Réjouissons-nous de la grande Europe !

Samedi 11 mai, fin de matinée. Malgré la pluie, près de deux mille personnes se sont rassemblées sur la place du Château de Varsovie pour la parade Schuman, grande manifestation publique qui célèbre chaque année depuis 1999 la fête de l’Europe. Parmi les participants, certes beaucoup d’écoliers mais aussi des étudiants, des familles, des militants associatifs de tous âges venus habillés aux couleurs de l’écologie. On reconnaît ça et là quelques formations politiques et des slogans qui rappellent, s’il était nécessaire de le faire, que la crise économique n’est pas encore derrière nous.

La colonne se met progressivement en marche derrière la bannière « Złoty w garści, czy euro w kieszeni? » (un złoty dans la main ou des euros en poche ?). Si la Pologne est membre à part entière de l’Union européenne (UE) depuis 2004, elle n’a toujours pas, en effet, adopté la monnaie unique. Cette question pourrait constituer l’un des débats-clés des prochaines élections nationales en 2015 puisque Varsovie craint de plus en plus d’être marginalisée de l’Union si elle ne rejoint pas rapidement son avant-garde la plus dynamique : la zone euro.

Suivent ensuite des chars pavoisés des drapeaux de l’Europe entière, des majorettes, un orchestre et un petit groupe autour duquel crépitent les flashs des photographes. Monsieur Janusz Lewandowski, commissaire européen au Budget, a fait le déplacement de Bruxelles, ainsi que plusieurs eurodéputés polonais. On peut aussi noter la présence de personnalités nationales liées aux affaires européennes comme le député Marcin Święcicki, la présidente de la fondation Schuman en Pologne ou bien la directrice de la représentation de la Commission européenne en Pologne.

Europe ou Union ?

La parade traverse tout d’abord le village Schuman, où des eurodéputés se prêtent au jeu des questions-réponses avec des curieux aux bras chargés de gadgets griffés UE. Au premier tournant, une délégation attire l’attention par ses chants et ses étendards criants. L’Ukraine comme la Biélorussie ont été naturellement conviées à cette fête de l’Europe, formulation comprise au pied de la lettre dans un pays où l’on distingue les questions pleinement européennes (europejskie) de celles qui ne touchent que l’Union (unijne).

Après une heure de défilé dans une atmosphère bon enfant, sous le regard amusé des passants et des touristes, la foule rejoint son point de départ et se disperse à travers le village Schuman. Ce rassemblement sans heurt contraste en Pologne avec d’autres manifestations de « patriotisme » où les services de police sont davantage sollicités. Toutefois, plus que le caractère pacifique de la parade et le nombre relativement important de participants qu’elle a réuni pour un événement de ce type, c’est sa jeunesse et son énergie qui frappent l’observateur étranger.

À l’ouest du continent, les militants pro-européens les plus actifs sont très souvent des retraités qui ont, directement ou via leurs parents, un proche souvenir de la Deuxième Guerre mondiale. La construction européenne est dans ce contexte synonyme de réconciliation et la paix en est le fruit le plus précieux. Les jeunes, à l’inverse, jouissent par-dessus tout de la libre circulation et ne perçoivent pas toujours la nécessité de s’engager pour préserver et développer l’héritage laissé par les générations précédentes. Le 9 mai est donc davantage commémoré que véritablement fêté.

Il en va autrement dans la « nouvelle » Europe, pour qui pendant quarante ans la déclaration Schuman n’était qu’un lointain écho derrière le rideau de fer et l’Allemagne, un ennemi – au moins pour sa partie occidentale. Avec la fin de la guerre froide cependant, l’Europe intégrée et libre est devenue un rêve accessible et l’Allemagne, le meilleur allié des pays candidats dans une « vieille » Europe parfois réticente à leur ouvrir la porte.

Des avantages bien compris

Les avantages de l’appartenance à l’Union européenne ne laissent, il est vrai, guère de doute dans la région. La sécurité d’abord, puisque les menaces territoriales paraissent, dans l’opinion de beaucoup, nettement moins abstraites que pour les États situés à l’ouest du continent. La prospérité ensuite, car en ville comme à la campagne, on ne peut manquer de voir une route, une école ou un parc naturel soutenus par des fonds européens. La civilisation enfin, qui se caractérise à la fois par la modernité économique et une certaine conception du pouvoir politique, limité dans son exercice par le droit.

C’est pourquoi l’adhésion à l’Union a pu être associée avec un « retour à l’Europe », le sentiment d’avoir retrouvé sa légitime place dans la maison européenne après un demi-siècle d’exclusion imposée depuis l’étranger. C’est également une des raisons pour lesquelles les « nouveaux » États membres s’efforcent tant de combler le fossé entre l’Europe et l’UE en défendant l’élargissement de cette dernière à des pays comme l’Ukraine.

Il ne faut pas pour autant voir dans cette ambition un obstacle à la volonté d’approfondir l’intégration européenne. À la différence d’États tels le Royaume-Uni qui espèrent diluer l’Union en l’élargissant, ceux de l’Europe centrale perçoivent l’approfondissement comme un moyen de renforcer leur influence dans le mécanisme décisionnel ou, à tout le moins, de faire contre-poids au pouvoir des « Grands » comme l’Allemagne et la France.

Pour la jeunesse qui a défilé dans les rues la semaine dernière, le dilemme entre élargissement et approfondissement n’a donc pas lieu d’être. Généreuse, elle souhaite partager les fruits de la construction européenne avec ses voisins. Ambitieuse, elle désire une Europe forte et unie, seule à même d’imposer le respect aux autres puissances internationales. Réjouissons-nous de l’avoir accueillie à bord !