Quel contenu pour la Communauté européenne de l’énergie ?

Ce mois de mai a été florissant pour la politique européenne de l’énergie avec, en France, la proposition du président François Hollande de créer une « Communauté européenne de l’énergie » et, à Bruxelles, les conclusions du Conseil européen sur l’énergie. Des laboratoires d’idées comme Notre Europe, qui travaillent sur la question depuis des années, ont également profité de la vague pour exprimer à grands traits leur vision d’une éventuelle Communauté européenne de l’énergie. Renouvelables, gaz de schiste, infrastructures… quelles devraient en être les priorités ?

C’est de Paris que le premier coup est parti puisque, dans sa conférence de presse du 16 mailargement placée sous le signe de l’Europe, le président François Hollande a évoqué la possibilité de fonder « une Communauté européenne de l’énergie destinée à coordonner tous les efforts pour les [énergies] renouvelables et réussir ensemble – alors que l’Europe a des pays qui n’ont pas les mêmes politiques énergétiques – à assurer la transition énergétique ».

Si l’idée n’est pas neuve – Jerzy Buzek et Jacques Delors avaient notamment déjà publié une déclaration en ce sens en 2010 –, elle a le mérite d’enfin proposer une perspective d’avenir à une Union européenne qui semble, depuis plusieurs années, être incapable de se dépêtrer de la crise de la monnaie unique et des dettes souveraines.

Toutefois, l’angle retenu pour refonder une politique européenne de l’énergie – les renouvelables – peut surprendre dans un contexte économique toujours difficile où l’on cherche en priorité à ne pas alourdir la barque pour les ménages et les entreprises. La supériorité actuelle de l’argument économique sur les aspects environnementaux a d’ailleurs trouvé en avril une démonstration éclatante dans le rejet par le Parlement européen d’une proposition de la Commission qui aurait pu déboucher sur une remontée des prix des quotas d’émission de CO2. Sachant que les subventions publiques au développement des sources d’énergie renouvelables (SER) se sont dans le même temps raréfiées à cause des contraintes budgétaires qui pèsent sur la plupart des États membres, les énergéticiens disposent désormais de peu d’incitations à investir dans les SER.

Certes, la cible de 20% d’énergie consommée d’origine renouvelable à l’horizon 2020 n’est pas remise en cause – les conclusions du Conseil européen du 22 mai le confirment – mais il n’est plus prioritaire. Pour espérer rallier des partenaires à son initiative de Communauté européenne de l’énergie (CE2), la France doit donc y inclure des thématiques qui tiennent compte à la fois des difficultés économiques et des stratégies politiques des autres États membres de l’Union.

Une capacité d’emprunt pour financer les interconnexions

L’achèvement du marché intérieur de l’énergie est, malgré les réticences de certaines capitales à transposer les directives correspondantes, l’objectif numéro un de l’UE. Il doit non seulement permettre de diminuer les coûts moyens de l’énergie en Europe mais aussi de réduire les écarts de prix entre États, à l’origine de distorsions de la concurrence particulièrement sensibles dans le secteur industriel. Un marché mieux intégré à l’échelle européenne absorberait enfin plus facilement le choc occasionné par des ruptures d’approvisionnement puisque les pays victimes pourraient compter sur les livraisons de leurs voisins.

Le principal obstacle à la réalisation du marché intérieur de l’énergie est aujourd’hui le manque d’interconnexions, c’est-à-dire d’infrastructures qui relieraient entre eux les réseaux nationaux existants d’électricité et de gaz. Leur construction requiert de très lourds investissements, amortissables sur des décennies voire non rentables d’un point de vue strictement financier. Seule la puissance publique est dans ces conditions capable de lever, directement ou indirectement, les capitaux nécessaires.

Compte tenu du niveau actuel d’endettement de nombreux États de l’Union et du caractère par définition transfrontalier des interconnexions, la CE2 constituerait un instrument pertinent pour superviser leur déploiement et assurer leur financement. À cette fin, elle devrait disposer d’une capacité d’emprunt comme, en son temps, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) ou intégrer, en fonction de ses résultats, l’expérimentation « Obligations de projet Europe 2020 ».

Une ressource propre : la taxe carbone

Quoi qu’il en soit, la solidité financière de la CE2 ne pourra être reconnue qu’à la condition de reposer sur des ressources propres, dans la droite lignée ici encore de la CECA. Ces ressources pourraient par exemple provenir d’une taxe carbone qui viendrait avantageusement remplacer un système d’échange de quotas d’émission devenu inefficace. En effet, une étude de l’Académie américaine des sciences montre que la stabilisation des émissions de GES dans les pays développés entre 1990 et 2008 s’expliquerait en grande partie par la délocalisations d’usines vers les pays émergents. Le gain pour le climat est donc nul, voire négatif puisque les nouvelles installations ne sont pas soumises aux mêmes normes environnementales et que le transport des produits vers les pays consommateurs émet des GES supplémentaires.

En comparaison, la taxe carbonne ne frappe pas les gaz à effet de serre (GES) « produits » mais ceux « consommés » et s’applique donc aussi bien aux marchandises fabriquées en Europe qu’à celles qui viennent du reste du monde. Elle permettrait ainsi d’améliorer la compétitivité de l’industrie européenne et de limiter le dumping environnemental.

Pourquoi cependant le Parlement européen accepterait cette proposition alors qu’il a refusé d’intervenir sur le marché des quotas au nom de la défense des consommateurs et des entreprises ? Le moyen de contourner l’obstacle est de mettre les députés en face de leurs responsabilités, puisqu’ils semblent moins se soucier des revenus des contribuables au moment de voter les budgets de l’Union européenne. Si le Parlement a raison de réclamer davantage de moyens d’intervention pour l’UE, il doit dans le même temps assumer la responsabilité politique de l’alourdissement des prélèvements fiscaux.

À la différence du système de quotas qui a profité aux États membres et à certaines grandes entreprises, la taxe carbone devra directement alimenter le budget de la CE2 avec un mécanisme de contrôle dans lequel le Parlement européen aura son mot à dire. De cette façon, les députés seront poussés à formuler pour l’Union des ambitions proportionnées au niveau de taxation qu’ils sont prêts à défendre devant leurs électeurs.

Une compétence externe pour négocier avec les pays fournisseurs et de transit

Outre une capacité de levée de fonds assise sur une ressource propre, la CE2 devra enfin, pour remplir correctement sa mission, être dotée de compétences externes. Aujourd’hui, comme le souligne l’eurodéputé Jacek Sariusz-Wolski, vice-président du Parti populaire européen (PPE) et rapporteur permanent pour les questions de sécurité énergétique, la Bulgarie et la Lituanie importent du gaz à un tarif 35% plus élevé que l’Allemagne ou le Royaume-Uni.

Cet écart, qui reflète la diversité des positions diplomatiques vis-à-vis des pays tiers fournisseurs d’énergie, nourrit d’importantes distorsions de la concurrence et ne saurait être effacé par la seule mise en place d’interconnexions. L’achèvement du marché intérieur de l’énergie implique donc que la CE2 puisse négocier les conditions de ses importations d’une seule voix, comme le fait déjà l’Union européenne en matière commerciale. Ceci pourrait passer par la création d’une Agence européenne d’achats groupés d’énergie ou, a minima, par la conclusion d’accords cadres avec les pays fournisseurs ou de transit.

En formulant sa proposition de Communauté européenne de l’énergie, le président François Hollande a voulu répondre aux appels de l’Allemagne en faveur d’une Union politique. L’harmonisation des politiques extérieures dans le domaine de l’énergie représenterait un pas significatif dans cette direction et quoique l’adhésion de Berlin est loin d’être acquise d’avance, elle a plus de chances de rassembler une coalition de soutien, en particulier parmi les pays d’Europe centrale, que la question du bouquet énergétique où se heurtent nucléaire, renouvelables, charbon et gaz de schiste.

Avec une telle initiative, la France peut retourner les cartes en laissant à l’Allemagne trois solutions : lancer une contre-proposition appuyée par un groupe au moins aussi large de pays, se dédire ou se taire, c’est-à-dire se désavouer tout autant. L’énergie et la force de conviction que le président déploiera au service de son idée montreront si son discours avait une réelle portée européenne ou s’il ne s’agissait, en définitive, qu’un artifice de politique intérieure.