Politique européenne de voisinage : les garde-frontières sont-ils plus efficaces en démocratie ?

Première publication à l’occasion de la conférence « Quelle Europe dans le monde ? L’Union européenne face aux défis géopolitiques du XXIe siècle » tenue à Strasbourg le 19 janvier 2011.

Au vu de l’opinion que se font de nombreux Européens de l’armée et de la défense, la sécurité extérieure ne semble plus être une préoccupation majeure des citoyens. Pour autant, si l’Union a en effet permis de rendre la guerre entre ses États membres improbable et si aucune menace militaire ne vise actuellement ses frontières, des phénomènes plus diffus comme le terrorisme constituent des sources de déstabilisation que la Politique européenne de voisinage tente de maîtriser.

Lancée en 2004 à l’initiative de la Commission, la Politique européenne de voisinage (PEV) est avant toute chose une conséquence du grand élargissement vers l’est. Le rapprochement géographique de l’Union avec des territoires réputés instables nécessitait la formulation d’une stratégie vis-à-vis de ses nouveaux voisins qui, sans inclure de promesse formelle d’adhésion, aurait pour résultat de garantir la paix dans la région donc in fine la sécurité de l’UE. Le schéma imaginé alors était celui d’un « cercle d’amis » qui adopterait dans une très large mesure les valeurs et les normes promues par l’Union européenne tout en restant en dehors de son système institutionnel et de prise de décision.

Le développement de cet espace reposait sur les recettes classiques de la construction communautaire, telles que les notions d’interdépendance et d’intérêts communs, mais renvoyait aussi aux grands canons de la pensée politique occidentale qui tend à associer stabilité, prospérité économique et démocratie. Cependant, la PEV ne contenait aucun nouvel instrument et se contentait de chapeauter les accords bilatéraux et les programmes déjà existants en les inscrivant dans une vision plus cohérente. D’autre part, sans doute sous l’influence d’États membres plus tournés vers la dimension méridionale, le « cercle d’amis » ne s’étendait pas seulement aux pays de l’Europe orientale (Biélorussie, Moldavie et Ukraine) et du Caucase du sud (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie) mais couvrait aussi la rive sud de la Méditerranée avec l’Algérie, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, la Libye, le Maroc, l’Autorité palestienne, la Syrie et la Tunisie.

Les deux blocs présentent pourtant des différences non négligeables puisque les perspectives d’adhésion des anciennes républiques soviétiques à l’Union européenne, tout en demeurant hypothétiques et lointaines, ne sont pas complètement exclues. Rappelons à l’inverse que la candidature du Maroc a été rejetée en 1987 au motif qu’il ne s’agissait pas d’un « État européen ». Or, ce point n’est pas sans incidence sur la perception de la PEV par les pays visés : ceux qui pensaient encore pouvoir rejoindre l’UE à moyen terme ont été déçus d’être traités de la même façon que ceux qui n’ont a priori pas vocation à entrer dans le club. Le tir a entretemps été rectifié avec la création en juin 2008 de l’Union pour la Méditerranée et en mai 2009 du Partenariat oriental, deux initiatives qui se situent dans le cadre de la PEV mais qui sont plus adaptées aux spécificités de chacune des régions.

Dans ses grandes lignes, le contenu de la PEV porte sur la promotion de la démocratie, des droits de l’Homme et de l’État de droit ; une intégration accrue en vue de favoriser la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux ; la résolution de conflits ouverts ou gelés (Sahara occidental, Palestine, Transnistrie, Géorgie) et bien sûr une coopération plus affirmée en matière de lutte contre la criminalité et l’immigration illégale. L’objectif est de parvenir avec chacun des pays associés à former une zone de libre échange et de circulation des personnes sans visa mais les efforts à fournir sont encore considérables avant que ce projet ne devienne un jour réalité.

Une politique de gestionnaire plus que de visionnaire

Aujourd’hui, plus de six ans après son démarrage, il est difficile de qualifier cette politique de succès, même si d’indubitables progrès ont été constatés. Selon la dernière étude en date de la Commission européenne, les échanges commerciaux entre l’UE et les États couverts par la PEV ont ainsi connu une forte croissance et plusieurs accords visant à faciliter les demandes de visa et à moderniser les administrations des douanes seraient en passe d’être conclus. Les projets dans le domaine énergétique figurent également parmi les plus dynamiques. En revanche, de l’avis même de la Commission, le soutien aux mesures de protection sociale, aux politiques de développement durable et au respect des droits fondamentaux ne semble pas avoir été une grande réussite.

Le contraire eût été, il faut l’avouer, bien surprenant. Contrairement à la politique d’élargissement qui dispose d’un réel levier sur l’État cible, la politique de voisinage de l’Union européenne n’a somme toute pas grand-chose à offrir. Sa principale source de fonds, l’instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP), est doté pour la période 2007-2013 de 12 milliards d’euros à partager entre les seize pays liés à la PEV plus la Russie. L’enveloppe n’est certes pas mince mais son apport n’est pas suffisamment substantiel pour qu’un gouvernement la considère comme irremplaçable.

Par ailleurs, les crédits qui servent à renforcer le contrôle des frontières ou à améliorer les infrastructures de transport et d’énergie bénéficient directement à l’Union européenne qui n’a donc pas intérêt à tenir compte d’autres facteurs dans leur attribution. La PEV, en effet, n’ambitionne pas de transformer l’environnement de l’UE de manière aussi profonde que ne l’avait fait la politique d’élargissement. Définie de façon unilatérale, elle ne s’accompagne pas d’une conditionalité politique rigide et cherche avant tout à garantir la sécurité de l’Union contre des menaces telles que le terrorisme, l’immigration illégale ou le trafic de drogue.

Jugée à cette aune, elle obtient des résultats relativement satisfaisants à un coût raisonnable en sous-traitant les tâches ingrates à des États moins scrupuleux de la protection des droits de l’Homme. En un sens, c’est la politique d’un bon gestionnaire soucieux de maintenir le statu quo mais incapable de nourrir des ambitions plus élevées et d’élaborer une stratégie en conséquence. Que les voisins demeurent éloignés des standards de l’Union est aussi commode puisqu’est repoussée d’autant la question de leur éventuelle adhésion ‒ ou d’une autre forme de coopération plus poussée ‒. Or, l’UE n’est visiblement pas désireuse de se la poser maintenant.