Le débat sur la laïcité maintenu malgré un revers électoral et des querelles internes

Revue de la presse française du 26 mars au 1er avril 2011

Après deux semaines de dépaysement consacrées au Japon et à la Libye, la presse française est revenue à des sujets internes avec tout d’abord les résultats définitifs des élections cantonales, dont le second tour dimanche 27 mars n’a pas connu une affluence beaucoup plus grande que le premier. L’abstention, avec 53,7% contre 55,6% une semaine plus tôt, est à l’évidence restée le vainqueur du scrutin. Les votes blancs ou nuls ont en revanche enregistré un progrès significatif en passant de 1,3% à 7,1% : autant de chiffres qui viennent à l’appui des propositions du député socialiste Laurent Fabius de « rendre le vote obligatoire » et de « comptabiliser les votes blancs ».

En dehors de ces tristes résultats pour le système politique français dans son ensemble, les scores des forces en présence placent en première position le Parti socialiste (PS, 35% des voix), suivi d’assez loin par l’Union pour un mouvement populaire (UMP, 20%) et le Front national (FN, 11,6%). En ajoutant les bulletins recueillis par des formations plus petites, on arrive à 50,2% pour l’ensemble des composantes de la gauche contre 35,6% pour la droite dite « parlementaire ». En termes de sièges toutefois, la différence est moins marquée de sorte qu’au final, lors de l’élection des présidents de conseil général jeudi 31 mars, seule une poignée de départements ont changé de couleur. Il est donc peu probable que le Sénat bascule à gauche en septembre.

La redistribution des cartes au niveau départemental ne constituait de toute façon pas l’objet principal des préoccupations des responsables politiques et des journalistes qui étaient nettement plus soucieux des performances du Front national, inédites pour ce type de scrutin. Le parti de Marine Le Pen semblait en effet mal outillé pour faire le plein de voix à des élections où la notabilité et l’ancrage local donnent un avantage considérable aux sortants mais il a confirmé son important regain de popularité, mis en lumière le mois dernier par les sondages du Parisien.

La « vague bleu Marine » n’aura certes porté que deux élus aux conseils généraux du Var et du Vaucluse. Toutefois, une analyse plus fine des résultats du FN montre que rapportée au nombre de candidats encore en lice au second tour, l’audience du parti d’extrême droite est très proche des 20%. D’autre part, à la différences des scrutins précédents, où le décompte des voix restait relativement stable d’un tour à l’autre en l’absence de report, cette élection cantonale a vu des électeurs de droite mais aussi de gauche apporter leur bulletin au Front national au second tour.

Le FN en voie de normalisation

Longtemps repoussé au ban de l’échiquier politique, le FN serait par conséquent en voie de normalisation, d’autant que la perméabilité n’apparaît pas seulement dans les urnes. Des syndicalistes auraient ainsi rejoint les rangs du parti, contre l’avis de leur direction qui continue de considérer que les valeurs du Front national sont incompatibles avec celles des organisations de représentation des travailleurs. Au sommet de l’État cependant, la position est loin d’être aussi ferme et tranchée.

Les hypothèses d’alliance avec le FN ou, à l’inverse, de constitution de front républicain avaient déjà été, on se souvient, abordées au début du mois de mars. Face au « ni ni » (ni Parti socialiste, ni Front national) défendu à l’Élysée, le premier ministre François Fillon avait fait entendre un autre son de cloche et appelait à « battre le FN ». Le souci de cohérence avait ensuite poussé les chefs de l’État et du gouvernement à mettre de l’eau dans leur vin et à troubler encore davantage le message adressé aux électeurs de l’UMP.

Passée la défaite de dimanche, le parti majoritaire n’était pour autant pas au bout de ses peines et de ses querelles intestines avec la charge de son secrétaire général Jean-François Copé, invité lundi soir au Grand Journal de Canal+. À propos du débat sur la laïcité dont il est, avec Nicolas Sarkozy, l’un des fervents défenseurs, il a reproché au premier ministre de ne « pas jouer collectif » et d’adopter une « posture », en référence à ses réserves sur cette convention qu’il craint stigmatisante pour les musulmans. La pique aurait, dit-on, beaucoup blessé François Fillon en raison de ses convictions de « trente ans ».

Tiraillements entre la sensibilité centriste et la Droite populaire

Bien que le président de la République ait le lendemain matin rappelé à l’ordre les deux rivaux, la polémique autour du débat sur la laïcité est en réalité loin de se résumer à un conflit entre deux personnalités : elle représente un point de crispation entre deux ailes de l’UMP qui ont de plus en plus de difficultés à cohabiter sous un même toit. D’un côté, le groupe de la Droite populaire s’en tient à la ligne de 2007 et estime que l’UMP doit continuer à se montrer dure sur les questions d’identité et de sécurité pour ne pas abandonner d’électeurs au Front national. De l’autre, les radicaux et les centristes croient au contraire qu’une telle attitude ne fait que banaliser les idées extrêmes et qu’à ce jeu-là, les Français préféreront toujours « l’original à la copie » comme le disait le président du FN de l’époque Jean-Marie Le Pen.

Or, si une discussion sur la conception de la laïcité dans la République n’envoie pas en tant que telle de signal négatif, la convention organisée par l’UMP souffre d’un défaut de naissance qui l’oriente clairement vers les pratiques des musulmans. Le débat, qui se tiendra mercredi 5 avril à l’hôtel parisien du Pullman Montparnasse, comportera d’ailleurs une table ronde dédiée à l’islam de France. Certains membres musulmans de l’UMP comme Abdallah Zekri ont en réaction déchiré leur carte du parti tandis que l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy Abderrahmane Dahmane a invité ses coreligionnaires à exhiber une étoile verte, à l’image de l’étoile jaune que les personnes de confession juive devaient porter sous le régime de Vichy.

D’autres responsables de l’UMP, tels le porte-parole du gouvernement et ministre du Budget François Baroin, les députés Étienne Pinte et Michel Heinrich ou encore la sénatrice du Bas-Rhin Fabienne Keller souhaitent tout simplement que le débat soit annulé. C’est aussi le vœu d’autres acteurs de la société civile, exprimé au travers de la pétition de Respect Mag et du Nouvel Observateur ou de l’éditorial du journal Le Monde du 31 mars.

Les représentants des cultes également sceptiques

Les représentants des cultes eux-mêmes ne sont pas convaincus du bien-fondé du débat. Dans une tribune publiée dans la Croix du 29 mars, les porte-parole des « six instances responsables du bouddhisme, des Églises chrétiennes (catholique, orthodoxe, protestante), de l’islam et du judaïsme » s’interrogent sur l’opportunité d’organiser ce dialogue dans le cadre d’un « parti politique », sans toutefois appeler à l’abandon de l’initiative. Ils invitent en outre à « éviter amalgames et risques de stigmatisation » et soulignent leur « adhésion sans réserve [aux] principes fondamentaux [de la loi 1905] ». Ce scepticisme pourrait les amener à suivre l’exemple des représentants du Conseil français du culte musulman et à ne pas participer à la convention.

Dès lors, sa légitimité en serait grandement diminuée, de même que ses conclusions éventuelles. Les tables rondes sont en effet censées apporter des réponses à une série d’épineuses questions, en particulier le financement des lieux de culte par l’État pour mettre fin aux prières dans la rue, l’extension de l’obligation de neutralité au-delà des seuls fonctionnaires à l’ensemble du personnel du service public, le service de viande halal dans les cantines ou encore l’aménagement d’horaires d’accès distincts pour les hommes et les femmes aux équipements sportifs. Le tout devrait déboucher sur un « Code de la laïcité et des libertés religieuses » qui permettra de clarifier l’état du droit en la matière à moins que, comme tant de travaux antérieurs au pays des comités Théodule, il ne disparaisse dans un tiroir poussiéreux.

Encadré : La loi de séparation des Églises et de l’État

Élaborée dans un climat tendu entre partisans de l’Église et anticléricaux, la loi de séparation des Églises et de l’État, dite « loi 1905 » en référence à son année d’adoption, dispose que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes […] et ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » Le régime concordataire est donc aboli — sauf en Alsace et en Moselle, alors sous domination allemande — et les Églises relèvent du droit privé. Toutefois, la plupart des communes mettront gratuitement à leur disposition les édifices cultuels dont elles sont devenues propriétaires. L’interdiction du financement des cultes tend en conséquence à avantager les religions présentes de longue date en France, au détriment notamment de l’islam alors qu’elle est aujourd’hui la deuxième religion du pays.