La prime pour améliorer le pouvoir d’achat des Français ne satisfait personne

Revue de la presse française du 16 au 22 avril 2011

À un an maintenant des élections présidentielles, le probable candidat à sa propre succession Nicolas Sarkozy réinvestit le terrain économique et social pour tenter de faire remonter sa très faible cote de popularité. Ni son activisme dans les affaires internationales, ni ses prises de position fermes sur des thématiques habituellement saisies par l’extrême droite ne sont en effet jusqu’ici parvenues à le réconcilier avec les électeurs.

De fait, comme l’a rappelé cette semaine dans les colonnes du Figaro le député UMP de sensibilité centriste Pierre Méhaignerie, « le pouvoir d’achat est devenu, après l’emploi, la deuxième priorité des Français ». Cependant, la difficulté est grande pour le gouvernement d’agir sur ce levier en l’absence de marges de manœuvre budgétaires : la dette publique dépasse les 80% du PIB et le déficit public, plus structurel que conjoncturel, ne laisse pas entrevoir de retour à l’équilibre dans les prochaines années.

Il en résulte que l’exécutif, qui refuse par ailleurs d’accroître la pression fiscale pour ne pas se désavouer, doit d’une manière ou d’une autre mettre le secteur privé à contribution pour régler la facture. C’est le sens de la proposition exprimée une première fois par le chef de l’État le 7 avril et finalisée mercredi dernier à l’issue du conseil des ministres hebdomadaire. Dans ses grandes lignes, elle consiste à faire verser par les entreprises qui distribuent des dividendes une prime à leurs salariés. Ses détails ont toutefois fait l’objet de nombreuses discussions avant d’être définitivement arrêtés par le président et le gouvernement.

La première inconnue était son montant. Le jeune ministre du Budget François Baroin avait parlé le 12 avril d’une somme de mille euros mais au bout du compte, pour tenir compte de la diversité des situations, le paramètre sera laissé à la discrétion des négociations entre les directions des entreprises et les syndicats. Le second point particulièrement sensible portait sur le caractère obligatoire ou non de la prime. Après des avis contradictoires émis, d’un côté, par la ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie Christine Lagarde et, de l’autre, par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé Xavier Bertrand, Nicolas Sarkozy a retenu la voie contraignante pour les entreprises de plus de 50 salariés. En revanche, le versement de la prime sera facultative pour les sociétés plus petites bien qu’il ouvrira également droit à des allègements de cotisations sociales. La mesure ne sera donc pas totalement indolore pour les finances publiques puisque l’État prendra une partie de son coût à sa charge via des compensations en faveur des organismes de protection sociale.

Une mesure qui ne devrait concerner que 20% des salariés du privé

Concrètement, qui sera éligible au dispositif ? D’après les calculs des journalistes de Libération, trois millions de personnes maximum pourraient percevoir cette prime, soit 20% des salariés du secteur privé. Pour compter parmi les heureux bénéficiaires, l’employé doit en effet travailler pour une entreprise qui reverse des dividendes, et elles ne sont qu’un tiers à le faire en France. De plus, le montant des dividendes versés doit être en augmentation par rapport à l’année précédente, un critère qui élimine la moitié des sociétes cotées au CAC 40 — l’indice boursier qui recouvre les plus grandes entreprises françaises. Enfin, même si le mécanisme a vocation à devenir « pérenne », selon le vœu du ministre du Travail qui ne voulait pas entretenir l’illusion d’une « prime électorale », il sera en pratique très instable et ne répondra pas véritablement aux attentes des travailleurs en termes de sécurité de leurs revenus.

Pour cette raison, la proposition du chef de l’État a reçu un accueil très froid tant du côté du patronat que de celui des syndicats. Dans un entretien très commenté et publié dans le Monde du lundi 18 avril, la présidente du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), Laurence Parisot, a tôt fait de dénoncer une mesure « incompréhensible », voire « dangereuse », et de mettre en doute sa légalité devant les principes de liberté contractuelle et de liberté d’entreprendre. Face à la question du pouvoir d’achat des Français, les dirigeants d’entreprise sont revenus à leur antienne et ont plébiscité la voie de l’abaissement des prélèvements obligatoires.

Les organisations syndicales réclament quant à elles de véritables augmentations de salaires, à la fois plus régulières et plus justes puisqu’elles bénéficieraient à l’ensemble des salariés du secteur privé. Sur ce point, Christine Lagarde a laissé entendre lundi 18 avril que le SMIC, c’est-à-dire le salaire minimum, devrait être revalorisé de 2% au 1er juillet 2011. Il ne s’agit cependant pas d’un « coup de pouce » compte tenu du taux d’inflation, qui atteint également 2% sur les douze derniers mois. La décision vise donc à garantir les revenus réels des plus modestes et non à les élever.

« culot + volontarisme + improvisation = déception »

De façon générale, la presse s’est aussi montrée très critique vis-à-vis du lapin sorti du chapeau de Nicolas Sarkozy. Le Monde, pourtant peu coutumier des jeux de mots, a ainsi titré son éditorial du 21 avril « Nicolas Sarkozy, l’improvisation en prime » sans s’apercevoir que les plumes de Libération avaient produit le même calembour deux jours plus tôt. Il résume cependant très bien « la personnalité et la méthode du président de la République » en une formule cinglante : « culot + volontarisme + improvisation = déception ».

L’orchestration du déplacement du chef de l’État mardi dernier dans les Ardennes, à une quinzaine de kilomètres de l’usine où il prononça en 2006 son fameux slogan « travailler plus pour gagner plus », n’a pas fait de mystère. Nicolas Sarkozy est en campagne et mise sur ses atouts pour convaincre les Français de lui redonner leur confiance. Devant les maires des communes ardennaises, à Renwez, il s’est montré résolu et a profité de l’occasion pour tacler les « experts », selon qui « c’est jamais (sic) possible. Sinon, ils seraient pas (sic) experts, ils seraient acteurs ! ».

Les économistes ne sont pourtant les seuls à faire preuve de scepticisme. Au sein même de la majorité, plusieurs élus ont fait part à demi-mot de leur réserve bien qu’il soit difficile de s’opposer publiquement à une mesure qui vise à regarnir le porte-feuille des ménages. Les variantes décrites par l’un ou l’autre ministre démontrent à l’évidence que la proposition a été lancée dans l’urgence, sans profonde réflexion préalable, peut-être en réaction aux conflits salariaux qui ont éclaté ces dernières semaines.

Les autres pistes suivies par le gouvernement pour préserver le pouvoir d’achat des Français comme, d’un côté, le gel des prix du gaz ou, de l’autre, la revalorisation du barème kilométrique qui permet réduire le montant des impôts dus, ne sont que des pis-aller. Outre un impact limité, ils entrent en contradiction avec d’autres engagements des autorités politiques en place, en particulier dans le domaine de l’environnement.

À la décharge de l’exécutif, l’opposition ne défend pas non plus de proposition à la fois crédible et efficace pour répondre à cette préoccupation forte des citoyens. Le Parti socialiste a certes villipendé ce qui ne serait qu’un « miroir aux alouettes », une « tromperie », mais ne promet rien d’autre pour le moment qu’un « rattrapage » des salaires et l’organisation d’une « conférence salariale annuelle » tripartite mettant autour d’une même table l’État et les partenaires sociaux. Si le pouvoir d’achat redevient un thème de campagne majeur pour les prétendants à la fonction suprême, ce sera très probablement insuffisant pour remporter l’adhésion des électeurs.