Inhabituelle célébration de l’anniversaire de l’élection de François Mitterrand

Revue de la presse française du 7 au 13 mai 2011

Plusieurs événements ont marqué l’actualité française de la semaine passée, entre autres la charge du ministre Laurent Wauquiez contre le Revenu de solidarité active (RSA) et l’« assistanat » ou encore les révélations du site d’information Mediapart au sujet de prétendus quotas dans les centres de formation de football. Cependant, aucune de ces polémiques n’a autant remué les foules que le trentième anniversaire de l’élection de François Mitterrand, le 10 mai 1981, à la présidence de la République.

La véritable « tonton mania » qui a enfiévré le pays n’est pas passée inaperçue à l’étranger, où beaucoup de commentateurs sont restés circonspects devant cet engouement inédit. En revanche, les journaux français n’ont pas manqué de rappeler à leur manière la date anniversaire, de même que la télévision et le secteur de l’édition qui a inondé les librairies d’ouvrages plus ou moins intéressants sur celui qui demeure à ce jour le seul socialiste à être parvenu à conquérir l’Élysée.

Beaucoup de responsables politiques, de gauche ou de droite, en fonction ou retraités, ont donc été invités à raconter comment ils ont vécu l’annonce de la victoire de François Mitterrand au soir du 10 mai 1981. Des anonymes ont également pris part à cet exercice de mémoire, le plus souvent des sympathisants de l’ancien président socialiste, et la nostalgie transparaissait à l’évidence comme le sentiment dominant des témoignages publiés.

Le président qui promettait de « changer la vie »

Il est vrai que dans son slogan de campagne, le candidat d’alors promettait aux Français de « changer la vie » et qu’après plus de vingt ans pendant lesquels s’étaient succédé des gouvernements de droite ou du centre, l’alternance représentait pour un grand nombre de citoyens une énorme bouffée d’air frais qui avait le potentiel de bouleverser leur quotidien. Certaines des mesures adoptées dans les mois qui ont suivi l’élection, comme l’abolition de la peine de mort, la fixation d’un prix unique pour les livres et la fin du monopole d’État dans l’audiovisuel, ont survécu jusqu’à nos jours et ne semblent plus désormais faire l’objet de contestations significatives.

D’autres toutefois ont été plus controversées. Le Figaro, grand quotidien de droite, dépeint avec acidité les dispositions du gouvernement socialiste pour partager le travail et relancer l’emploi : octroi d’une cinquième semaine de congés payés, avancée de l’âge légal de départ à la retraite à soixante ans, limitation de la durée légale du temps de travail hebdomadaire à trente-neuf heures … Le journal dénonce également les coûteuses nationalisations, les dévaluations du franc et, sur le plan moral, les mensonges du personnage sur ses encombrantes amitiés avec des collaborationnistes, son état de santé et ses aventures sentimentales secrèes.

François Mitterrand est à n’en pas douter une icône ambiguë qui fascine et dans le même temps met mal à l’aise sa famille politique. Pourfendeur du « coup d’État permanent » dans les années 1960 face à un général de Gaulle peu adepte du parlementarisme, le président socialiste ne remettra jamais en cause l’influence de l’Élysée et la renforcera même très largement au travers d’une pratique du pouvoir souvent qualifiée de monarchique. De la même façon, les discours pleins de hargne du candidat François Mitterrand contre l’argent ont mal préjugé de son attitude pendant la décennie 1980, synonyme d’argent roi et d’années fric.

Ces taches d’ombre sur le « Sphinx » n’ont pas empêché les aspirants à la magistrature suprême de se réclamer de son héritage. Ségolène Royal, candidate malheureuse en 2007 et ancienne proche de « tonton » Mitterrand, n’en a pas fait de mystère et s’est directement inspirée du mot d’ordre de son mentor, la « force tranquille », pour forger son slogan de « force citoyenne ». Un sondage commandé par Canal+ auprès de l’institut TNS Sofres montre cependant que les interrogés associent davantage à l’ancien président François Hollande, sans que l’on sache s’il faut interpréter la chose comme un gage de succès pour l’élection présidentielle de 2012.

Une répétition générale avant 2012 ?

De fait, il serait naïf de cantonner l’écho produit par l’anniversaire du 10 mai 1981 à une simple commémoration historique. L’impopularité record du chef de l’État en exercice Nicolas Sarkozy donne à la gauche de grands espoirs de reprendre les rênes du pouvoir au niveau national. Le grand concert organisé sur la place de la Bastille par les hommes d’affaires Pierre Bergé et Mathieu Pigasse, réputés favorables au Parti socialiste, rappelait certes les manifestations de joie qui s’étaient tenues là trente ans plus tôt, mais avait aussi des allures de répétition générale en vue d’une éventuelle victoire socialiste l’année prochaine.

Libération publiait d’ailleurs le même jour un « Appel aux forces de la gauche et de l’écologie », signé par diverses personnalités comme l’auteur du pamphlet à succès Stéphane Hessel, l’économiste Thomas Piketty et plusieurs responsables politiques. Le collectif aspire à ce que se constitue un « accord de rassemblement de la gauche » autour d’un « socle commun » qui n’est pas sans évoquer le Programme commun adopté par le Parti socialiste dans les années 1970 et partiellement repris dans les cent dix propositions du candidat François Mitterrand.

Or, si le PS s’est doté il y a quelques semaines d’un projet, la personne qui l’incarnera est encore à désigner. À l’approche des primaires qui vont consacrer le candidat officiel du Parti socialiste, le favori des sondages et actuel directeur général du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, vient de prendre un coup suite à la diffusion d’une photo le montrant avec son épouse Anne Sinclair en train de rejoindre un proche dans une voiture de luxe. Les rapports difficiles entre la gauche et l’argent sont donc encore loin d’être clarifiés, à l’image peut-être du tabou persistant de la société française sur ce thème.