Financer l’Europe de la défense

Cette semaine se tiendra à Bruxelles un sommet des chefs d’État et de gouvernement des vingt-huit pays membres de l’Union européenne consacré notamment à la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Alors que la France, sous couvert d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies, vient de lancer en Centrafrique l’opération Sangaris destinée à rétablir la sécurité et l’ordre public dans le pays, François Hollande a publiquement émis l’idée que ce type d’intervention devrait être au moins pour partie financé par un « fonds européen permanent » spécifique.

De fait, les crises qui se déroulent sur le continent africain ne sont pas sans répercussion pour l’ensemble des pays de l’UE, par exemple en termes de flux de réfugiés pour ne citer que ce point également inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen de jeudi et vendredi. Les opérations qui visent à les résoudre bénéficient donc à tous les États de l’Union et il est à ce titre légitime que chacun, en vertu du principe de solidarité, participe en proportion de ses capacités à leur mise en oeuvre et leur financement.

On peut toutefois se demander si la proposition d’établir un fonds européen permanent est le meilleur moyen de convaincre nos partenaires de contribuer à l’entretien d’un bien public comme la sécurité. Sur le plan politique tout d’abord, ainsi que l’ont laissé entendre certains responsables européens, la chronologie des événements peut faire croire qu’après avoir décidé seule d’intervenir, la France cherche à partager la note. Si une opération doit être financée en commun, on peut raisonnablement supposer qu’elle doit être au préalable approuvée dans son principe comme dans son format. Or, il semblerait que pour Sangaris, ces consultations aient été peu approfondies.

La France, mercenaire de l’Europe ?

De plus, bien que François Hollande ait récusé vouloir faire porter par la France l’uniforme du « mercenaire de l’Europe », la constitution d’un tel fonds reviendrait de facto à entériner la division du travail entre, d’une part, les pays à tradition interventionniste comme le Royaume-Uni ou la France, prêts à payer le prix du sang pour assurer leur propre sécurité et celle du reste de l’Union et, d’autre part, les États refusant tout autre sacrifice que pécuniaire. Les populations britanniques et françaises toléreront-elles de porter seules un fardeau aussi lourd ?

Enfin, le financement en commun des opérations ne résoud pas le problème du partage des coûts d’achat et d’entretien du matériel militaire, dont on voit en France qu’ils ne sont pas épargnés par la nécessité de redresser les comptes publics. Même en répartissant entre les Vingt-Huit la charge financière supplémentaire représentée par les interventions extérieures, il est possible que dans quelques années, la France doive renoncer, faute de capacités disponibles, à conduire certaines opérations pourtant nécessaires au maintien de la sécurité européenne.

Qui pourra alors les assurer ? le Royaume-Uni, qui a décidé des coupes radicales dans son budget de défense ? les États-Unis, déterminés à se désengager au plus vite du Moyen-Orient et à ne pas trop s’impliquer en Afrique pour se concentrer sur la région Asie-Pacifique ? François Hollande a eu raison de dire que si la France n’était pas intervenue en Centrafrique, « personne » ne l’aurait fait à sa place. Cependant, la solution qu’il propose n’est pas de nature à assurer dans l’avenir la capacité de la France à refaire un tel choix.

Parce que la sécurité est l’affaire de tous, il faut effectivement que chacun supporte de façon équitable les coûts de son maintien. La fixation dans un accord politique entre les Vingt-Huit – dans un premier temps non contraignant juridiquement – d’un seuil minimum de dépenses militaires en proportion du PIB, à l’image des recommandations de l’OTAN, constituerait déjà un pas dans la bonne direction. Si cette cible était portée à 1,3%, compte tenu des budgets actuels, treize États membres devraient augmenter les crédits consacrés à la défense.

Dépenses d’intérêt commun

Il importe également que les dépenses nationales contribuent à maintenir ou renforcer des capacités utiles à l’ensemble de l’Union. C’est pourquoi le même accord réserverait une part de ces 1,3% – au moins un quart pour produire un effet utile – à des dépenses d’« intérêt commun » comme des programmes conjoints de recherche et de développement, des opérations de type Sangaris ou d’autres initiatives s’inscrivant dans une stratégie européenne de sécurité mise à jour – la dernière date de 2003. Le caractère d’« intérêt commun » serait attribué par consensus sur la base d’un examen collectif.

L’avantage de cette proposition est de responsabiliser davantage chacun des États membres en matière de sécurité et de défense tout en préservant la marge d’autonomie de ceux qui, pour des raisons historiques, ont une politique plus active dans ce domaine – matérialisée par la partie du budget militaire qui excède 1,3% du PIB. En outre, elle incite les États membres à coordonner certaines de leurs dépenses pour décrocher le label d’intérêt commun et donc à définir des programmes complémentaires. Les négociations autour de ce label devraient aussi stimuler la réflexion autour de ce qui va ou non dans le sens d’une sécurité européenne accrue.

Une opération comme Sangaris pourrait, dès lors, recevoir un appui plus affirmé en hommes et en matériel de la part des autres États membres, notamment ceux qui jusqu’ici investissaient peu dans leur armée ou dans des capacités de projection. En revanche, il n’est pas illogique que la France, qui a décidé d’intervenir sans attendre l’adoption par le Conseil de l’UE d’une action – base juridique pour une opération militaire –, en supporte les coûts financiers directs. Elle pourra néanmoins convaincre ses partenaires qu’il s’agit d’une opération d’intérêt commun.

Aussi bien pour le fonds européen permanent que pour un relèvement du niveau des dépenses militaires dans près de la moitié de l’UE, l’obstacle le plus difficile sera bien sûr de trouver de nouvelles ressources, en particulier dans un contexte de crise économique. On objectera toutefois que pour cette même raison, les peuples qui assument de façon disproportionnée les coûts de la sécurité pour l’ensemble du continent sont de moins en moins enclins à conserver ce statu quo et pourraient être tentés de remettre en cause les garanties d’assistance mutuelle existantes. Les pays qui sous-investissent aujourd’hui dans leur défense, au demeurant souvent prospères, sont-ils prêts à courir le risque ?