Doit-on nationaliser Facebook et les autres réseaux sociaux ?

Première publication sur le blog L’Europe en débat le 23 octobre 2011.

La décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel de mai 2011 d’interdire à l’antenne les renvois explicites vers Facebook ou Twitter a provoqué sur la Toile de nombreuses incompréhensions. Le CSA n’a pourtant fait que rappeler une évidence souvent négligée par les internautes : Facebook et les autres réseaux sociaux ne sont ni des médias, ni des espaces publics de discussion mais des prestataires de services à but lucratif.

Internet, e-mail, messagerie instantanée, Facebook… tous ces noms semblent s’inscrire dans une longue chaîne d’évolutions technologiques qui ont modifié en profondeur notre façon de communiquer et ont chaque fois eu tendance à remiser au placard des antiquités des systèmes encore en vogue il y a quelques années. Ainsi, à l’heure des réseaux sociaux en ligne, qui continue de se servir des salons IRC ou bien des logiciels de t’chat comme AIM ou MSN Messenger ?

On serait donc naturellement porté à croire que Facebook et ses équivalents ne se distinguent pas outre-mesure de leurs précédesseurs et ne méritent pas de traitement spécifique. Après tout, le premier des réseaux sociaux vient de franchir la barre des 800 millions de membres actifs et met à la portée de chacun la possibilité d’accéder gratuitement à du contenu et de partager le sien propre avec des dizaines de contacts. La quantité de données stockée par le site est telle que le réseau pourrait presque constituer à lui seul un petit Internet.

C’est ici toutefois que s’arrête la comparaison. À la différence du Web ou de l’e-mail par exemple qui sont des protocoles de communication utilisables par tous, un réseau social comme Facebook fonctionne selon des règles définies par le site lui-même et devant lesquelles les membres n’ont d’autre choix que de donner leur approbation ou ne pas s’inscrire. Les entreprises concurrentes ne peuvent pas davantage s’appuyer sur le contenu hébergé par Facebook sauf éventuellement à lui payer une redevance alors qu’il existe une infinité de navigateurs Internet et de clients e-mail capables de se connecter aux standards en vigueur.

Les réseaux sociaux : simples colporteurs ou gestionnaires actifs de contenu ?

La confusion provient souvent de ce que Facebook n’est pas en tant que tel créateur de contenu : ce sont ses membres qui l’alimentent en nouvelles, photos, informations personnelles… Autrement dit, dans un schéma classique de communication, le réseau serait représenté par un tuyau à ceci près qu’il n’est régulé par aucune autorité publique, contrairement aux ondes radio, TV ou à Internet.

D’autre part, une caractéristique essentielle des réseaux est de voir leur efficacité augmenter de manière exponentielle par rapport à leur nombre d’utilisateurs. En pratique, cela signifie que plus vous avez d’amis qui possèdent un compte Facebook, plus le bénéfice que vous tirez du vôtre sera important car vous aurez accès à davantage de données et pourrez partager vos informations avec un cercle étendu de personnes. Les réseaux sociaux existants jouissent donc de confortables rentes de situation et ce, d’autant plus que la migration vers un produit concurrent s’avère extrêmement complexe et coûteuse en temps.

Une telle concentration ne serait pas néfaste en soi si elle ne s’accompagnait pas de pratiques commerciales parfois discutables, notamment en matière de censure et de traitement des données personnelles. Or, en l’absence d’alternative sérieuse, la capacité de réaction des consommateurs est très faible. C’est pourquoi les pouvoirs publics, et plus particulièrement les autorités responsables de la protection des données personnelles, devraient se saisir de la question pour réfléchir à de nouveaux moyens de réguler les réseaux sociaux.

La solution extrême consisterait à nationaliser purement et simplement l’entreprise, en vertu du fait qu’elle agit sur un marché tendant de facto vers un monopole naturel. Cependant, outre les difficultés juridiques et financières que l’opération générerait, elle présenterait le risque de réduire la capacité d’innovation du site. Il serait également possible de restreindre la portée de la nationalisation aux données personnelles, qui passeraient alors sous la supervision d’une autorité publique indépendante. Les sociétés désireuses d’y accéder devraient dans cette hypothèse obtenir non seulement l’accord de l’usager, mais aussi un agrément dont l’obtention serait conditionnée au respect de normes élevées en termes de sécurité et de vie privée.

Dans une perspective moins interventionniste, les pouvoirs publics pourraient se contenter de mettre en place des standards d’interopérabilité qui faciliteraient la connexion ou la migration entre sites, ou encore de renforcer les compétences des agences de protection pour faire respecter le droit à l’oubli, y compris lorsque les opérateurs sont situés en dehors du territoire national. Ces quelques ébauches de proposition ne font en définitive que refléter la diversité des équilibres atteignables entre, d’une part, la liberté des entrepreneurs et des consommateurs, et de l’autre, la garantie de certains droits fondamentaux. Le choix de l’un d’entre eux ne peut quant à lui que relever du débat démocratique.