Comment la Pologne prépare « sa » présidence de l’Union européenne

Article co-écrit avec Étienne Franchineau et publié sur Fenêtre sur l’Europe le 3 février 2011. Une version remaniée de ce texte est également parue le 10 octobre 2011 dans la revue Études européennes.

La présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, en dépit des réformes institutionnelles apportées par le traité de Lisbonne, continue de représenter pour les États membres qui en ont la responsabilité une fenêtre d’opportunité majeure à la fois en termes d’influence sur l’agenda communautaire et de visibilité internationale. C’est pourquoi chacun s’y prépare avec beaucoup de soin comme nous l’explique Joanna Skoczek, directrice du Département de la coordination de la présidence polonaise qui se déroulera au cours du second semestre 2011.

Alors que dans un peu plus d’un mois maintenant, la Belgique passera le relais de la présidence du Conseil de l’UE (parfois maladroitement appelée présidence de l’Union) à la Hongrie, la Pologne se projette d’ores et déjà à l’été 2011 pour inaugurer ce qui sera le premier « trio de présidences » à intégrer pleinement les modifications introduites par le traité de Lisbonne. L’instauration d’un président permanent du Conseil européen, d’un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ainsi que d’un Service européen d’action extérieure viennent en effet grandement limiter le rôle d’impulsion auparavant dévolu à la présidence tournante, de sorte que cet organe doit rechercher ses marques et redéfinir sa place dans la nouvelle architecture institutionnelle de l’Union.

Pour la Pologne, le défi est d’autant plus grand qu’elle endossera cette responsabilité pour la première fois depuis son adhésion en 2004. D’autre part, à côté du Danemark et de Chypre qui lui succèderont dans le cadre du trio, elle fait figure de « grand » État et ne pourra donc que très partiellement compter sur leur support. C’est pourquoi le succès de la présidence polonaise dépendra d’abord de son degré de préparation en interne et en particulier de la capacité de l’administration nationale à maîtriser les dossiers abordés, à faire preuve d’habileté dans les négociations mais aussi sur le plan matériel à assurer une logistique sans accroc afin que l’énergie des représentants puisse se concentrer sur le fond des choses.

Des moyens conséquents…

Conscients de l’ampleur et des difficultés de la tâche, les responsables polonais ont commencé à s’y atteler dès 2007 en étudiant les exemples des États membres qui avaient déjà exercé la présidence tournante. Ils ont pu sur cette base identifier quellles étaient les bonnes pratiques à imiter et quelles étaient les carences à combler. Une enveloppe de 100 millions d’euros a été accordée à cette fin, chiffre qui fait certes pâle figure en comparaison des 180 millions d’euros dépensés par la France ou l’Allemagne pour leur présidence mais l’Espagne par exemple, pays de taille similaire à celle de la Pologne, n’a quant à elle consacré « que » 86 millions d’euros à l’événement. Par conséquent, le budget de la présidence polonaise paraît honorable, a fortiori dans un contexte général de crise économique et de déséquilibre des finances publiques.

Il servira d’abord à l’organisation des réunions des différents groupes de travail, voire des ministres puisque toutes ne se dérouleront pas à Bruxelles et que les Polonais entendent bien tirer profit de l’occasion pour promouvoir le riche patrimoine culturel et touristique du pays. Les agents de la présidence devront donc s’assurer que l’accueil des partenaires se déroule dans des conditions irréprochables, que ce soit dans la capitale Varsovie ou dans les autres villes sélectionnées par le Conseil des ministres pour la tenue des sommets (entre autres Cracovie, la station balnéaire de Sopot ou encore Wrocław). Si ces questions de logistique peuvent sembler à première vue assez secondaires, elles sont en réalité essentielles au succès de l’événement car le moindre retard ou souci technique entachera l’opinion de la présidence que se feront les participants, indépendamment des résultats obtenus sur le fond. De sa position d’insider, Joanna Skoczek nous rapporte avec malice une poignée d’incidents qui ont nourri les conversations des experts européens pendant plusieurs semaines : il est clair que les organisateurs polonais mettront tout en œuvre pour que ceci ne se produise pas sous leur présidence.

Un autre chapitre important des préparatifs concerne l’investissement dans le capital humain. Outre les quelque 1200 personnes détachées de différents ministères pour se dédier de façon exclusive à cette mission, nombreux sont les services administratifs à être impliqués de près ou de loin dans les débats ou l’organisation. Il est donc vital que leur personnel soit sensibilisé aux enjeux de la présidence et qu’il acquiert certaines compétences, notamment en matière de négociations et de langues étrangères. En marge, on notera avec une satisfaction non dissimulée que l’anglais ne figure pas seul au programme de formation des agents et que des cours de français seront également dispensés en raison des habitudes de travail du secrétariat général du Conseil. Les bénéfices de ces stages intensifs devraient dépasser l’horizon des six mois de la présidence pour renforcer de façon générale le « réflexe Europe » des fonctionnaires polonais et poursuivre l’européanisation des ministères.

Néanmoins, la présidence ne se réduit pas au cénacle des agents de l’État et les organisateurs ont également à cœur de toucher le grand public. Bien que les opérations de communication se fassent pour le moment encore discrètes (groupe Facebook, site Internet d’avant-première), il est prévu que la promotion monte graduellement en régime jusqu’au 1er juillet 2011 avec entre autres le lancement du site Internet officiel de la présidence www.pl2011.eu, de campagnes d’information dans les grands médias polonais et européens, l’organisation d’événéments culturels dans les capitales majeures du monde … Les nouveaux porte-parole de l’Union européenne sur la scène internationale ne devraient donc pas complètement éclipser la présidence tournante qui conservera ainsi sa fonction de caisse de résonance pour les priorités que la Pologne souhaite voir inscrites à l’ordre du jour.

… au service d’objectifs ambitieux

La Politique européenne de voisinage, avec notamment son volet du Partenariat oriental, la question énergétique, le marché intérieur d’après-crise, la Politique de sécurité et de défense commune ou encore le capital intellectuel : tels sont les thèmes que la Pologne espère porter à l’agenda européen au second semestre 2011. En matière énergétique, la Pologne voudrait en particulier que la Commission publie une proposition sur la sécurité des approvisionnements, sans toutefois omettre l’aspect environnemental afin de n’être pas soupçonnée de ne défendre que ses propres intérêts nationaux. D’autre part, à l’occasion du 20e anniversaire du marché intérieur début 2012, la Pologne compte soumettre une stratégie de sortie de crise orientée vers l’achèvement de ce marché avec la suppression des dernières barrières qui subsistent.

Sur un plan plus géopolitique, la présidence sera aussi l’occasion pour la Pologne de s’affirmer comme pays leader au sein du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque), dans son trio de présidences mais également comme partenaire important dans le triangle de Weimar. Parmi ses voisins d’Europe centrale, la Pologne représente déjà le chef de file car c’est le plus grand État : les autres espèrent donc bien qu’elle s’affirme en porte-parole de la région au sein du « club des Grands » et le succès de la présidence permettrait de renforcer ce rôle de leader. Le trio de présidences dont elle fait partie avec Chypre et le Danemark se caractérise davantage par une coopération pratique que par l’adoption d’un programme politique commun pour les dix-huit mois à la tête du Conseil de l’UE. Cette coopération se matérialise notamment par le partage de l’expérience danoise en matière de présidence du Conseil et sur la capacité polonaise à envisager cette tâche de manière plus innovante. Dans le triangle de Weimar, la position de la Pologne est plus délicate car après le gel de l’ère Kaczyński, elle tente avant tout aujourd’hui de faire revivre cette instance de dialogue.

Enfin, la présidence est aussi l’occasion de rendre l’Union plus perceptible pour les citoyens polonais. En effet, même si l’UE dispose d’un bon soutien populaire en Pologne, en partie grâce aux avantages matériels qu’elle a pu lui apporter, le but est aussi de donner plus d’arguments à l’intégration. Ces six mois seront l’occasion pour la classe politique polonaise de sensibiliser la population au rôle positif joué par l’UE et comment il est possible pour la Pologne d’y être plus influente. C’est que la Pologne peut apporter beaucoup à la construction européenne, entre autres sa sensibilité orientale, sa connaissance de la Russie, sa capacité à réagir aux situations imprévues mais aussi son enthousiasme.

Les présidences disposent cependant d’une marge de manœuvre réduite pour imposer leurs priorités politiques, de l’ordre de 5% de l’agenda global de l’UE. Les objectifs polonais pour le second semestre 2011 résident donc en grande partie hors des priorités politiques et l’importance de cette première présidence porte avant tout sur sa fonction de rite de passage. À l’issue de l’épreuve seulement, la Pologne sera considérée comme un membre à part entière de l’Union. Présider le Conseil est d’abord l’opportunité pour l’État concerné de se rendre plus visible sur la scène européenne mais aussi de faire preuve de son savoir-faire dans la gestion des affaires communautaires. Réussir sa présidence permettrait donc à la Pologne d’affirmer son statut de grand État mais également de corriger certains stéréotypes. L’évaluation de la réussite sera donc surtout axée sur la défense de l’intérêt général contre les intérêts particuliers, la Pologne s’étant souvent vu reprocher son nationalisme, et la capacité à réagir à des crises internes. Pour Mme Skoczek, la présidence représente enfin un grand défi personnel et il ne fait aucun doute que pour son pays, le défi soit tout aussi crucial quant à la place que la Pologne souhaite dans l’avenir occuper au sein de l’Union.