Vu de Pologne. La CEDH refuse de se prononcer sur l’enquête autour du massacre de Katyń

Revue de la presse polonaise du 19 au 25 octobre 2013

Aucun événement particulier n’aura cette semaine monopolisé l’attention des media polonais, en revanche les contentieux historiques avec la Russie continuent de susciter une vive émotion. En parallèle de la tenue d’une conférence consacrée à la catastrophe de Smoleńsk qui réunissait des chercheurs sceptiques sur le caractère accidentel du crash de l’avion présidentiel le 10 avril 2010, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) devait rendre son jugement sur l’enquête relative au massacre de Katyń, au cours duquel des milliers d’officiers polonais ont été assassinés par les secrets secrets soviétiques du NKVD en 1940.

En effet, bien que les autorités politiques russes reconnaissent depuis la fin de la guerre froide la responsabilité de leur pays dans cette affaire – une rupture avec la thèse défendue pendant un demi-siècle par l’Union soviétique selon laquelle les nazis avaient perpétré le massacre –, aucune enquête judiciaire approfondie n’en a jamais déterminé les circonstances et les auteurs exacts. La qualification de crime « ordinaire » retenue par le parquet militaire principal rend de fait les actes prescriptibles, à la différence des crimes de guerre qui sont imprescriptibles en vertu du droit international.

Les familles des victimes reprochent en conséquence aux organes judiciaires russes d’avoir refusé la réouverture du dossier et de faire obstacle à l’identification de certaines victimes ainsi qu’à leur réhabilitation. Avec le soutien du gouvernement polonais mais aussi d’organisations non gouvernementales comme Memorial en Russie, elles ont fini par attaquer l’État russe devant la Cour de Strasbourg pour n’avoir pas mené « une enquête adéquate et effective sur le décès de leurs proches ».

En avril 2012, les juges s’étaient prononcés une première fois et s’étaient déclarés incompétents en raison de la date des faits, antérieure à la ratification par la Russie de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en 1998. Toutefois, ils admettaient dans le même temps que le manque de bonne volonté des autorités russes pour informer les familles des victimes du sort de leurs proches constituait un « traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention ».

Incompétence ratione temporis de la CEDH : la voie des recours judiciaires définitivement close

Cet arrêt n’a pas néanmoins contenté les familles des victimes qui ont décidé de faire appel. Le jugement du 21 octobre 2013 vient donc mettre un terme définitif à un contentieux de six ans devant la Cour qui confirme être incompétente en raison du temps écoulé entre les exécutions et la ratification par la Russie de la Convention. De plus, contrairement à l’arrêt de 2012, les juges de Strasbourg ont cette fois rejeté le grief du manque d’information sur le sort des victimes car sur la période examinée, qui ne débute qu’en 1998, « il ne subsistait plus aucune incertitude quant au sort des prisonniers de guerre polonais ».

Pour le quotidien conservateur Rzeczpospolita, il s’agit d’une véritable « défaite », d’autant que le ministère polonais des Affaires étrangères et l’Institut de la mémoire nationale (IPN) avaient apporté aux plaignants un soutien marqué. Plusieurs parties prenantes à l’affaire, du vice-président de l’association Memorial Nikita Pietrow au porte-parole des familles des victimes Ireneusz Kamiński, soupçonnent même la Cour d’avoir cédé aux pressions politiques de la Russie et d’avoir voulu fermer la porte à d’autres revendications du même type, en lien par exemple avec la grande famine d’Ukraine, les camps de concentration britanniques au Kenya ou la « pacification » de l’Algérie par l’armée française.

Une fois de plus, la Pologne paierait donc le prix de l’amnésie européenne, condition nécessaire à la « construction d’une communauté ». Rzeczpospolita compare cette politique de l’oubli volontaire avec la situation outre-Atlantique où la Cour interaméricaine des droits de l’homme serait plus encline à défendre un « droit à la vérité » et à enquêter sur les crimes des régimes autoritaires qui ont dominé l’Amérique latine dans les années 1970-1980.

Puisque les voies de recours judiciaires sont désormais épuisées, il ne reste à la Pologne que le chemin des négociations politiques avec la Russie pour tenter d’obtenir le déclassement de certains documents et de faire ainsi la lumière sur les tenants et les aboutissants du massacre de Katyń. Le recours devant la CEDH lui a également permis de rappeler l’affaire à la conscience des Européens et de lutter, d’une autre façon, contre l’oubli.

Articles phares :
- « Dziś Trybunał w Strasburgu ogłosi wyrok w sprawie rzetelności rosyjskiego śledztwa katyńskiego », Gazeta Wyborcza, 21 octobre 2013
- Marek Domagalski, « Strasburg zdecyduje w sprawie Katynia », Rzeczpospolita, 21 octobre 2013 ;
- Ewa Siedlecka, « Zbrodnia katyńska nierozliczona. Ostateczny wyrok Trybunału w Strasburgu », Gazeta Wyborcza, 22 octobre 2013 ;
- Wiktor Ferfecki, « Klęska Katynia w Strasburgu », Rzeczpospolita, 22 octobre 2013 ;
- Dominik Zdort, « W Europie wiedzą, czym był Katyń », Rzeczpospolita, 22 octobre 2013 ;
- Ewa Łosińska, « Dokończenia Norymbergi nie będzie », Rzeczpospolita, 23 octobre 2013.