Après la capture de Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire doit panser ses plaies

Revue de la presse française du 9 au 15 avril 2011

Le pessimisme qui nous faisait encore parler la semaine dernière d’« absence de perspective de sortie de crise post-électorale » en Côte d’Ivoire s’est finalement révélé infondé. Laurent Gbagbo, président sortant qui refusait depuis quatre mois d’admettre le verdict des urnes pourtant reconnu par la Commission électorale indépendante et la communauté internationale, s’est rendu aux forces de son rival Alassane Ouattara lundi 11 avril en début d’après-midi.

Avant d’être appréhendé par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), le « boulanger d’Abidjan » aura utilisé toutes les ficelles pour tenter désespérément de se maintenir au pouvoir et en aura fait voir de toutes les couleurs à ceux qui le pressaient, en Côte d’Ivoire comme à l’étranger, de faire preuve de plus de raison. Ainsi, alors que ses partisans étaient de moins en moins nombreux et qu’ils ne contrôlaient plus que quelques bâtiments symboliques au cœur de la capitale économique du pays, Laurent Gbagbo n’aura pas hésité à violer pendant le weekend le cessez-le-feu en vigueur et à faire tirer au mortier contre l’hôtel du Golf où siège depuis novembre l’administration d’Alassane Ouattara.

Face à ces manœuvres dilatoires que le département d’État américain qualifiait de « ruse » , l’ONUCI et les soldats français de Licorne sont une nouvelle fois intervenues de manière active et sans doute décisive dans la conduite des opérations qui ont mené à la chute de Laurent Gbagbo. Officiellement, les raids lancés contre les armes lourdes des troupes fidèles à l’ancien chef d’État n’avaient toujours pour but que de protéger les civils, conformément au mandat délivré par le Conseil de sécurité des Nations unies. Beaucoup soupçonnent cependant les forces françaises d’avoir joué un rôle plus important dans la capture de Laurent Gbagbo.

Incertitudes autour du rôle de Licorne dans l’arrestation

Afin de se prémunir contre les accusations de ceux qui voient en Alassane Ouattara le candidat de l’étranger, un demi-Burkinabé à la solde de Paris, Washington et du Fonds monétaire international, les FRCI ont répété que c’était bien elles, et non les soldats français, qui ont arrêté l’homme assiégé. Le même son de cloche retentissait du côté de l’Hexagone, où le ministre de la Défense Gérard Longuet et le porte-parole de l’état-major Thierry Burkhard assuraient qu’« à aucun moment, les forces françaises [n’avaient] pénétré dans le jardin, ni la résidence présidentielle de monsieur Gbagbo ».

Le représentant à Paris du chef de l’État déchu Toussaint Alain affirme en revanche que « Laurent Gbagbo a été enlevé par des forces spéciales françaises qui l’ont ensuite conduit à l’hôtel du Golf ». Des scenarii moins fantaisistes établissent plus simplement que « l’ONUCI et Licorne ont procédé à l’arrestation de Gbagbo, qui a été remis aux autorités légitimes de Côte d’Ivoire ». Cette dernière version a d’ailleurs été reprise par plusieurs élus socialistes de l’Assemblée nationale, qui ont dénoncé un « grossier mensonge d’État » devant l’obstination du gouvernement à nier la participation de la France dans l’arrestation.

Le contraste des avis portés sur l’ensemble de l’opération se retrouve également dans la presse puisque le Figaro est l’un des rares titres à parler de « succès pour la France ». Le quotidien Libération est quant à lui plus sceptique, même s’il ne condamne pas de façon explicite l’intervention des soldats de Licorne. Malgré un parfum de Françafrique, il faut en effet reconnaître que grâce à la caution des Nations unies et à la discrétion des troupes françaises, les apparences sont sauves et que le risque de guerre civile en Côte d’Ivoire valait peut-être la peine que soit donné au président légitimement reconnu par la communauté internationale un léger coup de pouce.

Dans l’idée de lever autant que possible les ambiguïtés autour de l’opération, le Premier ministre François Fillon a abordé dès mardi l’hypothèse du retrait de la force Licorne, qui « n’a pas vocation à rester en Côte d’Ivoire ». Le ministre de la Défense Gérard Longuet a confirmé le lendemain qu’elle allait progressivement « s’effacer, au bénéfice des dispositifs pré-positionnés des forces françaises (…), à Djibouti et Libreville ». Un nouvel accord de défense sera probablement conclu avec la Côte d’Ivoire mais sans en faire un territoire de « séjour permanent » pour les soldats français.

Quelle justice après le conflit ?

En plus des relations entre Paris et Yamoussoukro, les journalistes français se sont beaucoup intéressés à l’avenir de la Côte d’Ivoire maintenant que la crise post-électorale est résolue. C’est notamment la question de la justice qui se pose, alors que les deux factions se sont rendues coupables d’un certain nombre de crimes et que Laurent Gbagbo conserve un soutien important parmi la population ivoirienne.

Alassane Ouattara a d’ores et déjà annoncé qu’une commission « Vérité et réconciliation » sera mise sur pied pour faire la lumière sur le passé sans que la recherche des criminels ne prenne l’allure de chasse aux sorcières au service des vainqueurs. D’autre part, il a invité la Cour pénale internationale à enquêter sur des massacres commis au cours des dernières semaines et qui auraient peut-être été le fait des FRCI. Une centaine de cadavres ont été découverts par l’ONU à l’ouest du pays au début du mois d’avril, et des organisations non gouvernementales ont rapporté d’autres exactions liées à des appartenances ethniques et politiques.

Le sort de Laurent Gbagbo est de son côté en suspens. Après avoir été détenu quelques jours à l’hôtel du Golf, il a été transféré avec sa famille dans une villa proche d’Abidjan et gardée par des troupes onusiennes. Il pourrait être appelé à comparaître devant un tribunal ivoirien ou une juridiction internationale, et répondre en particulier de la création après 2002 d’escadrons de la mort qui avaient reçu pour ordre d’éliminer des adversaires politiques. Dans un cas comme dans l’autre, le procès est susceptible de raffermir la division entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara chez les Ivoiriens, au détriment de la cohésion du pays.

La capacité du chef de l’État à rassembler son peuple et à aller de l’avant dépend enfin largement de l’amélioration des conditions de vie matérielles en Côte d’Ivoire : la fin des pillages, le rétablissement de la sécurité et la reprise des activités économiques figurent en tête des préoccupations des Ivoiriens. Pour ce faire, l’assistance internationale demeure indispensable en raison de la forte spécialisation du pays dans l’exportation de matières premières. L’Union européenne a levé les sanctions économiques qui pesaient sur le pays et la France a débloqué une aide d’urgence de quatre cents millions d’euros pour réamorcer le circuit des transactions monétaires. L’expérience d’Alassane Ouattara devrait aussi lui permettre d’accéder plus facilement aux ressources des bailleurs de fonds internationaux. Il lui reste maintenant à se bâtir le même crédit au niveau national.